Anne-Claude Crémieux : "il y a du personnel soignant qui s'en va de l'hôpital public par lassitude"
Ce qu'ils disaient en septembre 2020 est encore vrai aujourd'hui avec les vaccins, et les leçons n'ont pas été tirées.
Interview de Nicolas Demorand du Jeudi 24 septembre 2020 : Anne-Claude Crémieux, professeur en maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Louis à Paris, membre de l'académie de médecine et Philippe Juvin, chef de service des urgences de l'hôpital George Pompidou à Paris et maire LR de La Garenne-Colombes sont les invités du Grand entretien de la matinale
Pour Anne-Claude Crémieux, "il y a aujourd’hui du personnel qui s’en va par lassitude, et il est très difficile de recruter, on craint par dessus tout de se retrouver dans une situation où il va falloir déprogrammer de façon massive, et cela aura des dégâts sanitaires, autant de conséquences et de décès qu’on cherche à éviter."
Pour Philippe Juvin, chef de service des urgences de l'hôpital George Pompidou, "la situation est grave, certains services hospitaliers sont dans des niveaux de saturation importants. Les mesures sont toujours en retard d‘un train depuis le mois de mars".
Anne -Claude Crémieux, professeur en maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Louis, rappelle que ce qui favorise la circulation du virus c'est la multitude de petits rassemblements. "Les personnes qui fréquentent les bars ou les restaurants ont 4 fois plus de chances d'être infectées", dit-elle. Elle déconseille aussi les réunions familiales : "Les jeunes parents et les enfants peuvent transmettre aux personnes âgées, il faut prendre un maximum de précautions : masques distance".
Anne-Claude Crémieux : "La situation s'est dégradée, on ne parle plus de nombre de cas, on parle d'hospitalisations, de patients en réanimation, de patients graves : c'est un tournant" #le79inter
Pas assez de concertation avec les élus locaux
"Je comprends la réaction de certains élus locaux, parce qu'il y a trois ou quatre semaines, le Premier ministre avait dit qu'il travaillerait désormais avec les maires, présidents de conseils généraux et régionaux. Et là, manifestement, ce n'est pas le cas", analyse Philippe Juvin.
"Moi, j'ai une réunion tout à l'heure à 17 heures par téléphone avec le préfet des Hauts-de-Seine pour soi-disant une concertation. Mais en réalité, on va nous concerter sur quoi, puisque tout est déjà décidé "
Le professeur et élu local salue la carte différenciée présentée par le gouvernement, avec l'instauration de nouveaux seuils. "L'homogénéité du mois de mars était absurde, rétrospectivement, il ne faudrait pas le refaire, cela va de soi."
Philippe Juvin est bien plus critique sur la fermeture des bars et restaurants, soit totale, soit anticipée dans les zones d'alerte maximale, et les zones d'alerte renforcée.
"Je m'interroge sur la pertinence parce qu'au fond, dans un restaurant, vous avez la capacité de faire respecter des règles. Vous pouvez imposer aux restaurateurs un certain nombre de règles. Vous pouvez les contrôler. Si vous voulez fermer des restaurants, les gens vont aller faire exactement la même chose, sans règles, ailleurs et en cela, les maires et les présidents de conseils régionaux ont raison de s'émouvoir de ne pas du tout être écouté."
Le système hospitalier "est à l'os"
En France, les mesures de protection restent moins strictes qu'en Espagne ou en Angleterre. Pour Philippe Juvin, "les situations sont différentes d’un pays à l’autre", mais il note qu'"on ne nous compare jamais à l’Allemagne. Il y a moins de zones denses, et un système hospitalier beaucoup plus confortable. Or en France, le sujet aujourd’hui, c'est que nous sommes à l’os en matière hospitalière, nous sommes sans marge de manœuvre".
Philippe Juvin rappelle que toutes ces mesures sont destinées "à ne pas submerger" les hôpitaux, mais "s'ils n'étaient pas submergeables, on n'aurait pas besoin de toutes ces mesures".
Les deux médecins sont d'accord pour dire qu'il faut prioriser, et que "toute personne infectée qui s’isole c’est une petite victoire" dit Anne-Claude Crémieux.
Pour Philippe Juvin, "en octobre on risque d’avoir moins de moyens hospitaliers pour les malades de la Covid qu’en mars. On n’a pas tiré les leçons, on n’a pas augmenté le nombre de lits de réanimation".
Les deux invités du Grand entretien redoutent que les médecins soient rapidement contraints de déprogrammer nombre d'interventions et de soins non liés à la Covid.
Pour Anne-Claude Crémieux, "il y a aujourd’hui du personnel qui s’en va par lassitude, et il est très difficile de recruter, on craint par dessus tout de se retrouver dans une situation où il va falloir déprogrammer de façon massive, et cela aura des dégâts sanitaires, autant de conséquences et de décès qu’on cherche à éviter."
L'école et les tests, deux situations chaotiques
Les mesures prises par le gouvernement sont nécessaires et efficaces. Les masques, ça marche. "Quand on prend deux groupes identiques, ceux qui ont des masques font le double de formes asymptomatiques, donc ne vont pas encombrer le système de santé" dit Philippe Juvin.
Concernant les tests, Anne-Claude Crémieux dit qu'"il faut libérer les tests salivaires", car dit Philippe Juvin, il faudrait pouvoir disposer de plusieurs types de tests, "j'aimerais avoir des tests rapides aux urgences, ou bien qu'ils puissent être faits chez les généralistes", car globalement, dit le responsable des Urgences de l’hôpital Pompidou, "c’est le chaos". Et, ajoute Anne-Claude Crémieux, "si on se contente de dépister les personnes qui sont symptomatiques et les cas contacts, on va passer à côté de la majorité des personnes infectées".
Les deux médecins sont d'accord pour dire qu'il faut prioriser, et que "toute personne infectée qui s’isole c’est une petite victoire" dit Anne-Claude Crémieux.
Concernant la gestion des mesures sanitaires en milieu scolaire, Philippe Juvin rappelle que "10 % des clusters en France viennent du milieu scolaire et universitaire, l'école est un vrai sujet car il y a une gestion un peu chaotique."
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