COTÉ d'HISTOIRE : Déclaration de M. Nicolas Sarkozy
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les priorités et défis de la politique étrangère de la France, à Paris le 16 janvier 2009.
Publié le 16 janvier 2009
Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères et européennes, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Je vous souhaite la bienvenue. Je vous adresse, à mon tour, mes voeux les plus sincères pour vous-même et pour tous les vôtres et je vous demande de transmettre à vos chefs d'Etat les souhaits que je forme à leur intention et pour vos pays, que vous représentez, par ailleurs, si bien en France.
Monsieur le Nonce, Je vous remercie de vos paroles. Je vous prie de transmettre à sa Sainteté le Pape Benoît XVI, nos souhaits très respectueux et de lui dire le souvenir particulièrement fort que les Français conservent de sa visite si réussie en France.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Nous le savons : l'année 2009 sera une année de très grandes difficultés, sans doute l'une des plus difficiles depuis des décennies. Sur le plan économique et donc sur le plan social. Sur le front de la guerre et de la paix, dans ce vaste arc de crise qui va du Proche-Orient au Pakistan. Sur le plan diplomatique, difficultés aussi : la réussite indispensable du Sommet du G20 de Londres en avril et la conclusion, elle aussi indispensable, de la négociation sur le climat, à Copenhague en décembre. Mais l'année 2009 peut aussi être une année fondatrice. 2009 peut être l'année de naissance d'un nouveau capitalisme, d'un nouvel ordre mondial £ une année de progrès décisifs vers la paix. Cela ne dépend que de notre volonté : voulons-nous subir la crise ou voulons-nous rebondir grâce à la crise ? 2009 pourrait enfin être marqué par une certaine évolution de la hiérarchie des puissances, selon qu'elles sauront ou non, par des choix judicieux et courageux, faire face à la crise en préparant l'avenir, en s'attaquant à leurs points faibles, en renforçant leurs atouts dans la compétition mondiale, en protégeant mieux les plus vulnérables pour préserver la cohésion sociale. C'est précisément ce qu'avec le Premier ministre et le gouvernement nous nous efforçons de faire pour la France et que nous nous sommes efforcés de faire pour l'Europe.
Cette année 2009, je l'aborde avec la volonté, la détermination de tout faire, de tout mettre en oeuvre pour que notre monde en sorte en ayant retrouvé le chemin de la croissance économique £ en ayant adopté des règles claires et universelles pour réguler la sphère financière £ en ayant approuvé des objectifs ambitieux et indispensables pour limiter les conséquences du réchauffement climatique £ en ayant progressé de façon décisive vers des institutions internationales enfin adaptées au XXIème siècle £ en ayant conclu un accord de paix au Proche-Orient £ en ayant défini les termes d'un règlement durable des crises du Soudan et de la région des Grands Lacs en Afrique.
Vous me trouvez sans doute trop ambitieux. Permettez-moi de vous donner la raison du volontarisme qui m'anime et que je revendique : je suis convaincu, à l'inverse de tous les raisonnements diplomatiques habituels, que le temps joue contre nous, contre la paix et contre la justice. Croire que l'on a le temps, c'est une erreur stratégique majeure. S'agissant de toutes ces crises, tout le monde sait bien les conditions qui feront que l'on aura un accord. Le temps n'amène rien à l'affaire. Ce qu'il faut faire, nous le savons. Alors, faisons-le. Les idées sont sur la table.
Les compromis, nous savons parfaitement où il faut les faire et qui doit les faire. Tout le monde. Alors, qu'attendons-nous ? Il n'y a pas assez de morts ? Pas assez de misère ? Il n'y a pas assez de souffrance ? Pas assez d'incompréhension ? Je vais même plus loin : ce que l'on ne fera pas en 2009, sera encore plus difficile à faire en 2010. Jusqu'au jour où il y aura eu tant d'épreuves, tant de souffrance, tant de malheur, qu'il n'y aura plus, sur la table, les marges de manoeuvre.
Voilà la réalité des choses. Elle est la première rupture que je souhaite. Que l'on comprenne enfin que nous n'avons plus le temps, ni sur le climat, ni sur la paix, ni sur la compréhension et le dialogue entre les différentes régions du monde que nous représentons.
C'est la vérité. C'est la priorité de 2009 que les hommes et les femmes qui sont aux responsabilités utilisent ces responsabilités pour agir et non pas pour commenter. Pour agir et non pas pour attendre. Parce que finalement, l'attente sans ne rien faire, ce n'est rien d'autre que de la complicité. Voilà la réalité des choses.
Ceux qui ne feront rien contre le réchauffement climatique seront complices du désastre. Ceux qui ne feront rien pour le règlement des conflits seront complices de la guerre. Ceux qui ne feront rien pour le règlement de la crise financière seront complices des injustices et du chômage.
Voilà, je pourrais presque en terminer là. Au fond, il n'y a rien d'autre d'important à dire. Tout le reste ne vient simplement qu'illustrer ce que je pense.
La crise économique et financière, je le dis comme je le pense, ce n'est pas une fatalité. Elle est le résultat des excès d'une sphère financière échappant à tout contrôle. Cela devait finir par arriver. A force que l'on explique que l'on gagne de l'argent avec des dettes, il y a un moment donné où cela doit s'arrêter. Elle est le résultat de déséquilibres globaux insoutenables dans la durée. Certains pays ne peuvent pas s'exonérer totalement de règles d'équilibre qui doivent s'imposer à tout le monde. Cela devait arriver.
Elle est le résultat de l'éclatement d'une gigantesque bulle de dettes que l'on poussait devant nous depuis des années et elle nous explose à la figure. Je ne le dis pas en termes diplomatiques, mais je décris très exactement ce que des dizaines, des centaines de millions de gens à travers le monde ont parfaitement compris.
Monsieur le Nonce cela fait bien longtemps que je suis d'accord avec vous. Parfois même, on a dit que j'étais trop d'accord. Pourtant, oserais-je un petit désaccord ? Quand avec la courtoisie qui est la vôtre, vous dites que l'on a du mal à désigner les responsables, non Monsieur le Nonce, nous avons tous une part de responsabilité. Mais il y en a certains qui ont encore plus de responsabilités que les autres et qui doivent aujourd'hui les assumer. Parce qu'un monde où personne n'a de responsabilité, c'est un monde qui deviendra ingouvernable.
Les pays les plus pauvres qui sont face au réchauffement climatique et à la montée des eaux, ne sont pas responsables du drame qu'ils vont vivre. Nous, les pays développés, nous portons une responsabilité. C'est pour cela que l'Europe a fait le paquet énergie/climat. C'est pour cela que l'Europe est crédible pour dire maintenant aux pays en voie de développement : "il faut que vous rejoigniez ce combat-là, parce qu'il est de votre intérêt". C'est pourquoi l'Europe maintenant est crédible pour dire aux Etats-Unis d'Amérique : "on a besoin de l'exemple des Etats-Unis d'Amérique". La première puissance du monde ne peut pas s'exonérer de la lutte contre le réchauffement climatique. Ce n'est pas possible. De ce point de vue, j'étais très heureux d'entendre les premières déclarations du président Obama.
La crise mondiale, il faut que nous lui apportions une réponse mondiale. J'en appelle à tous les gouvernements. Aucun d'entre nous n'en sortira en faisant sa propre politique dans son coin, isolé de ce que font les autres. Aucun. Nous avons besoin du dynamisme de chacun pour deux choses. La première : trouver un nouveau système de régulation. Ce sera l'enjeu du Sommet de Londres. Je puis vous dire une chose : l'Europe aura une position commune et forte. Je puis vous dire une deuxième chose : nous n'accepterons pas un Sommet qui ne décidera pas. Je puis vous dire une troisième chose : on ira ensemble vers ce nouvel ordre mondial et personne, je dis bien personne, ne pourra s'y opposer. Car, à travers le monde, les forces au service du changement sont considérablement plus fortes que les conservatismes et les immobilismes. Nous voulons de la transparence. Nous ne voulons plus de paradis fiscaux. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que tel ou tel Etat dans le monde veuille baisser ses impôts, voire les réduire à zéro, c'est son choix et c'est son droit. Personne ne peut s'y opposer. Mais alors, il doit y avoir de la transparence sur l'origine des fonds qui arrivent et sur l'origine des fonds qui repartent. La concurrence fiscale, oui, le paradis fiscal, non. Les hedge funds qui se sont endettés et ont endetté le monde, sans compter, sans mesure et sans limite. Plus aucune institution ou agent financier sans une régulation. Les systèmes de rémunération qui ont poussé à la folie - il n'y a pas d'autre mot - dans les salles de marchés, des jeunes opérateurs à qui on expliquait que, plus ils prenaient de risques plus ils avaient de génie, eh bien, ces systèmes de rémunération pervers, nous devons les revoir.
L'ordre mondial, le rôle du FMI qui est progressivement devenu une instance chargée de vérifier le bilan des plus pauvres pour donner l'autorisation à des plans de soutien. Mais le FMI a un autre rôle, un rôle de régulation à travers le monde qu'il doit porter. Ses moyens doivent être renforcés. La Banque mondiale. Mettre de l'ordre dans l'ensemble des organisations internationales. Quand vous pensez qu'à l'OMC on dit par exemple le contraire qu'à la FAO. D'un côté on explique qu'il n'y a pas assez de production agricole, qu'il faut renforcer. De l'autre, qu'il y en a trop.
Ce sont les mêmes qui y participent. N'est-il pas venu le temps d'y mettre de l'ordre ?
Refonder le capitalisme, le moraliser. Cela ne veut pas dire tourner le dos au capitalisme, au contraire, mais faire qu'il fonctionne au service d'un projet d'entrepreneurs et non pas de spéculateurs. La France portera ce message aux côtés de ses partenaires européens. J'ai été très conforté par les récentes rencontres avec la chancelière Merkel et avec le Premier ministre Gordon Brown.
Nous n'avons pas le choix : le Sommet de Londres doit être un succès. Cela sera un succès s'il porte les changements. Puis, il faudra que l'on se mette d'accord sur qui vérifie, quand et comment ce que l'on a décidé sera mis en oeuvre.
Puis, il y a une deuxième chose, c'est que nous avons besoin de tout le monde pour faire face à la crise économique mondiale. Nous avons besoin des réserves de cette grande puissance qu'est la Chine, qui, elle-même, a besoin des commandes des Etats-Unis d'Amérique, de l'Europe et du reste du monde. Nous avons besoin des réserves importantes d'un certain nombre de pays du Golfe, pour lutter en faveur de la croissance mondiale. Saisissons ce moment pour tendre la main aux pays producteurs de pétrole, alors que le pétrole est à 45 dollars le baril de Brent, pour leur dire que nous, les pays développés, nous sommes d'accord pour voir avec les pays producteurs comment leur garantir un niveau moyen, acceptable pour eux, du cours de pétrole. Nous aurons plus de chance, Mesdames et Messieurs, d'être entendus si nous faisons cette démarche alors que les cours sont bas, plutôt que de la faire uniquement quand les cours sont hauts.
Evidemment, quand le baril était à 150 dollars les producteurs, et c'est bien normal, nous ont regardés en disant : cela ne vous gênait pas quand, pendant des années, vous avez exploité notre pétrole à des taux indigents. Eh bien, maintenant que les taux sont bas, profitons-en pour prendre une initiative. C'est de l'intérêt de tout le monde de réguler le prix des matières premières, pas simplement du pétrole, pas simplement du gaz, mais de toutes les matières premières. La réponse est mondiale.
L'autre grande négociation portera sur le climat. La France le dit : il est impératif de conclure le processus de Bali lors du sommet de Copenhague en décembre. Que les choses soient claires : en employant, là-aussi, un langage bien peu diplomatique, je n'accepte pas l'argument de ceux qui disent que la crise économique est si grave que nous devrions renoncer à imposer des contraintes supplémentaires à nos industries pour limiter le réchauffement climatique. Je ne l'accepte pas parce que c'est une double erreur dans le changement de nos modes de production. Il y a un réservoir considérable de créations d'emplois et donc de croissance, croissance de développement durable. Ensuite, parce que si nous n'agissons pas aujourd'hui, le prix à payer demain sera si lourd, car si nous agissons trop tard, nous ne pourrons plus rien faire. Le rendez-vous, c'est celui de 2009, c'est celui de Copenhague et chaque grande nation sera face à ses responsabilités.
L'Europe, et je puis vous dire que cela n'a pas été si simple, a été au rendez-vous. Les Etats-Unis d'Amérique doivent être au rendez-vous mais la Chine, l'Inde, le Brésil, le Mexique, l'Afrique du Sud et tous les grands pays émergents, doivent être au rendez-vous. C'est notre bien commun, c'est notre planète. Parce que si les eaux montent, il n'y a pas une région du monde qui pourra en faire l'économie. Et parce que quand nous aurons à faire face aux émeutes de la faim et de l'eau, nous serons tous concernés. Ce n'est pas en 2010 ou en 2011 qu'il faut décider, c'est en 2009. Et il faudra le faire en se mettant dos au mur et il y aura ceux qui font face parmi nous à leurs responsabilités et il y aura les autres.
J'ajoute, pour être sûr de bien me faire comprendre, que la seule façon que nous avons de réussir, la seule, c'est de nous fixer des objectifs ambitieux car les petits objectifs ne nous permettront pas de surmonter les intérêts industriels, égoïstes des uns et des autres. Ce sont des grands objectifs qu'il faut, pas des petits. C'est au prix d'une grande ambition que chacun d'entre nous pourra convaincre ses compatriotes de laisser de côté une préoccupation exclusivement nationale. J'attends que les Etats-Unis nous disent, dès que possible, s'ils sont concrètement prêts à des efforts comparables aux 3 fois 20 que l'Europe s'est engagée à mettre en oeuvre.
Car alors, si tel était le cas et que les Etats-Unis se mettaient aux côtés de l'Europe dans cette lutte pour la préservation des équilibres de la planète, alors, le Japon, alors l'Australie, alors le Canada, alors l'ensemble du monde industrialisé pourrait se tourner vers les pays émergents pour qu'ils s'engagent à leur tour et nous sortirions du cercle vicieux où les uns nous disent aujourd'hui qu'ils veulent faire ce que les autres ont fait si mal hier. Cela, c'est la catastrophe. La seule solution, c'est que, tous ensemble, nous allions vers cet objectif.
Ces deux grandes négociations - la finance et l'économie et le climat - posent de façon urgente la question de la réforme des institutions internationales. Je me suis déjà exprimé sur le sujet. Je ne veux pas donner l'impression d'avoir une obsession mais enfin, quand même, nous sommes en 2009, au XXIème siècle. Nous vivons avec les institutions du siècle précédent. Neuf années pour comprendre qu'on a changé de siècle devaient être, me semble-t-il, suffisantes pour se doter d'objectifs ambitieux. La réforme du Conseil de sécurité va à nouveau être abordée par l'Assemblée générale des Nations unies le mois prochain. Avec le Royaume-Uni, la France plaidera pour une réforme intérimaire qui, à mon avis, est la seule à même de désembourber ce dossier qui, non seulement, n'avance pas mais recule. Cette réforme intérimaire, dans mon esprit c'est très clair, doit faire la place à des acteurs majeurs. Il est invraisemblable que l'Afrique - près d'un milliard d'habitants - ne puisse pas compter sur un membre permanent du Conseil de sécurité, invraisemblable et imprudent.
Il est invraisemblable et imprudent que l'Amérique latine, plusieurs centaines de millions d'habitants ne puisse pas compter sur un membre permanent du Conseil de sécurité, invraisemblable et très imprudent. Par ailleurs, que dire de l'absence de l'Inde, bientôt première puissance démographique du monde ? Je pourrais d'ailleurs décliner d'autres intervenants : le Japon, comme l'Allemagne. Nous ne pouvons plus accepter une organisation immobile. Oserais-je d'ailleurs dire qu'il ne me semble pas non plus très raisonnable qu'il n'y ait pas un seul pays arabe membre permanent de ces instances ? Pas raisonnable et pas prudent. La France sera donc l'avocate, l'interprète, le porte-voix de cette revendication d'une organisation internationale plus juste et plus représentative. Je n'ignore nullement qu'ici ou là, il y a des rivalités régionales. Pourrais-je me tourner vers les pays en rivalité ? Ce n'est pas parce que le rival sera membre permanent ou pas qu'il disparaîtra de la région. Je sais bien qu'il y a un certain nombre de pays qui ont acquis une place plus en raison de ce qui s'est passé en 1945. Cette réforme que nous voulons, elle n'est pas faite pour diminuer, pour retirer, mais pour ajouter. On doit pouvoir trouver des accords.
Alors, après, comment déterminer les représentants de chaque continent ? C'est là où le caractère intérimaire de la réforme va permettre de tester des solutions. Que personne ne se sente condamné mais il faut aller vers une meilleure représentation du monde.
J'ajoute que, dans ces réformes, la réunion d'un G8 stricto sensu, me semble de plus en plus étrange. Le G8 cette année sera présidé par l'Italie et c'est une bonne nouvelle. J'approuve pleinement les initiatives prises par l'Italie de faire que la moitié du temps le Sommet du G8 sera un G14, puisque nos amis égyptiens nous rejoindront. Autant le G8 est sans doute parfaitement légitime pour une première réunion de travail, une première journée de débats pour s'assurer qu'il y ait une volonté de cohérence entre nous, autant le G8 peut être un commencement, autant il ne peut pas être une fin. C'est même choquant, pour ceux qu'on invite à un vague déjeuner après deux jours et demi de travaux, à qui on fait traverser le monde entier.
J'appelle également, pour ne pas le dire, à ce que nous réfléchissions sur l'OMC. Cette organisation, à travers son organisme de règlement des différends, a des atouts remarquables. Mais nous devons repenser les modalités des grandes négociations commerciales. Enfin, près de dix ans pour aboutir à un désaccord, peut-être que ce n'était pas la bonne formule ? Combien d'années d'échecs faudra-t-il pour qu'on se dise : "dans le fond, il y a peut-être d'autres façons de travailler". J'approuve pleinement les initiatives utiles du président Lula qui demande que les chefs d'Etat et de gouvernement s'impliquent davantage à un moment de la négociation commerciale.
J'ajoute qu'après la Banque mondiale et le FMI, il faut que nous réfléchissions à l'ensemble de notre architecture internationale. Tant d'organisations qu'on finit par ne plus y comprendre grand-chose ! J'admets que, s'agissant de trouver des places pour tout le monde, cela peut-être utile mais est-ce bien raisonnable de n'avoir que cette seule ambition alors même qu'on se trouve au coeur des grandes crises du monde ? Ne faut-il pas spécialiser des organisations ? L'une pour l'économie, peut-être une pour le social, sans doute une pour l'environnement, une pour la culture et redéfinir cette architecture ? Et c'est parce que nous nous attellerons à l'ensemble de l'architecture du monde que nous trouverons les marges de manoeuvre qui nous permettront de trouver les équilibres, les compromis et les accords. Si nous ne nous attaquons qu'à un seul dossier en même temps, nous ne trouverons pas les marges de manoeuvre et les équilibres
Mesdames et Messieurs, J'ai utilisé dans mon introduction l'expression "arc de crise du Proche-Orient au Pakistan". A cela une raison : dans cette vaste région qui est aussi le coeur mondial des énergies fossiles, tous les conflits sont liés et interagissent entre eux, certains Etats ou mouvements cherchant à exploiter systématiquement cette interrelation.
La seule réponse raisonnable de la part de tous ceux qui veulent la paix c'est l'entente entre les peuples.
La crise de Gaza, c'est une tragédie. C'est une tragédie humanitaire, c'est une tragédie inutile et sanglante. Cette tragédie doit s'arrêter. La France a condamné l'entrée des soldats israéliens dans Gaza. Ce ne fut pas une décision facile à prendre et chacun ici sait l'attachement qui est celui de la France, et le mien en particulier, à la sécurité non négociable d'Israël. Je dis les choses comme je les pense : cette intervention ne renforce pas la sécurité d'Israël. C'est le devoir d'un ami sincère que de dire sincèrement ce qu'il pense. Dans le même esprit, la France a condamné la stratégie - si stratégie il y a - du Hamas d'envoyer des roquettes qui tombaient régulièrement sur des populations civiles d'Israéliens qui n'y étaient pour rien. A l'arrivée, où en est-on ? Des Palestiniens qui ont besoin de leur unité, divisés comme jamais, le président Abou Mazen qui a voulu la paix, fragilisé, un gouvernement israélien accusé partout dans le monde alors qu'Israël, plus que d'autres Etats, a besoin de la solidarité du monde, un monde arabe divisé et des dirigeants modérés dont nous avons besoin attaqués et fragilisés. Voilà le bilan.
Si on veut me démontrer que ce n'est pas un drame, que finalement ce sont les plus extrémistes de tous les camps qui en profitent, alors c'est qu'on n'a pas la même vision de cette crise. La France fera tout pour aider à la paix dans cette région du monde parce que le conflit à Gaza n'est pas un conflit régional. Il nous concerne tous. Parce que, tous, nous luttons contre le terrorisme et parce que, tous, nous avons intérêt à la paix dans cette région du monde. Or, les conditions de la paix, nous les connaissons : que chacun reconnaisse Israël comme un Etat démocratique qui a droit à sa sécurité et qu'on donne aux Palestiniens les moyens d'un Etat indépendant moderne, démocratique, viable. C'est comme cela qu'on responsabilisera un certain nombre d'organisations aujourd'hui ayant une attitude irresponsable. Voilà le message de la France. Croyez-bien que la France est sincère dans son amitié avec Israël mais que la France est sincère dans son soutien à la cause palestinienne de revendication d'un Etat. Je vous demande de me croire.
De la même façon, la France veut parler à l'Egypte, acteur incontournable de la solution de la crise. Je veux rendre une nouvelle fois hommage au courage du président égyptien, qui a eu le courage de faire la paix avec Israël et qui a le courage de se mettre au service de la paix.
Mais la France parle aussi à la Syrie et je ne regrette pas le choix que nous avons fait du dialogue avec les Syriens. Car nous avons besoin de tout le monde, des Turcs, des Qataris, bien sûr de l'Arabie saoudite et de l'ensemble des acteurs de la région. Mais que personne ne pense qu'il gagnera du temps en perdant. Fort heureusement, le plan est sur la table, le plan franco-égyptien. Chacun a voulu le considérer avec sérieux. Les Israéliens comme les Palestiniens. Dans la période difficile que nous traversons, il faut soutenir tous ceux qui sont prêts à prendre des risques au service de la paix. Que le Premier ministre Olmert prenne ses risques pour la paix, c'est ce nous attendons de lui et que les Palestiniens prennent le risque de se réconcilier. Parce qu'il n'y aura pas d'avenir pour les Palestiniens sur leur division. Là aussi, que chacun ait la sagesse de considérer que Palestiniens et Israéliens sont condamnés à habiter à côté les uns des autres, à se respecter et, pourquoi pas, à s'aimer. C'est le voeu que la France forme et tout ce que nous pourrons faire, nous le ferons.
Je pense bien sûr également au Liban. 2008 n'a pas réservé que des mauvaises nouvelles puisque le Liban a construit, petit à petit, le chemin de la réconciliation et le chemin de la paix. Je pense également à l'Irak, dont 2009 doit être l'année d'une pleine réintégration dans sa famille. Ce pays meurtri sort lentement d'une terrible tragédie.
L'année 2009 sera décisive pour l'Iran. L'Iran, c'est un grand pays, une grande civilisation et un grand peuple. Mais le temps est désormais compté. L'AIEA souligne les progrès rapides et préoccupants du programme d'enrichissement iranien, dont chacun sait qu'il n'a aucune finalité civile. Le moment approche où un choix devra être fait par les dirigeants iraniens : soit ils provoquent une grave confrontation avec la communauté internationale £ soit, ce que la France souhaite, on arrive, enfin, à une solution par la négociation engagée, tenez-vous bien, depuis cinq ans. Les six pays qui la conduisent sont prêts, y compris, j'en suis convaincu, les Etats-Unis, à poursuivre par un dialogue direct et ouvert la recherche d'un accord. C'est possible et ce sont les dirigeants iraniens qui doivent maintenant choisir.
Dernier chaînon de cet arc de crise : l'Afghanistan et le Pakistan. Le destin de ces deux pays est plus que jamais lié. Si le Pakistan n'aide pas sans réserve l'Afghanistan à combattre les Taliban et Al Qaïda, il continuera à en subir sur son sol les conséquences absolument désastreuses. Depuis l'élection du président Zardari, le Pakistan affirme qu'il a cette volonté. Nous sommes déterminés à l'aider, mais il faut que cette volonté soit clairement celle de tous les appareils d'Etat à l'intérieur du Pakistan. Et il faut aussi que le Pakistan coopère pleinement avec l'Inde, la plus grande démocratie du monde, pour que soient arrêtés et punis les terroristes responsables de la tuerie de Bombay. La France veut parler avec le Pakistan et la France veut être amie avec l'Inde.
La France restera engagée en Afghanistan parce que l'avenir de ce pays est un enjeu décisif pour la sécurité du monde. L'année qui s'ouvre portera un grand rendez-vous démocratique : l'élection présidentielle. La clé du succès réside dans le soutien du peuple afghan et dans l'afghanisation. Ce sera tout le centre de notre politique.
Enfin, la crise du Darfour d'abord. En écrivant ce discours, je me rendais compte qu'elle entre dans sa septième année. Cela fait sept ans qu'on tue en toute impunité au Darfour. Il est plus que temps de mettre un terme à ce scandale et l'initiative de paix conduite conjointement par le Qatar et le négociateur des Nations unies ainsi que l'Union africaine offre cette chance. La France appuie totalement cette initiative. Il faudra également permettre au Soudan d'aborder les échéances électorales attendues cette année dans le cadre d'une unité retrouvée. Nous n'avons pas intérêt à la division du Soudan mais le Soudan et ses dirigeants doivent faire les efforts nécessaires pour que le monde puisse les croire. C'est à eux d'apporter cette preuve, pas à nous.
Quant à la région des Grands Lacs, la violence s'est une nouvelle fois déchaînée. L'option militaire n'apportera aucune solution aux problèmes de fond qui se posent de façon récurrente depuis bien avantage que dix ans.
Il faut trouver une nouvelle approche pour apporter aux pays de la région l'assurance que l'ensemble de ces questions sera réglé de façon globale. Cela met en cause la place, la question de l'avenir du Rwanda avec lequel la France a repris son dialogue, pays à la démographie dynamique et à la superficie petite. Cela pose la question de la République Démocratique du Congo, pays à la superficie immense et à l'organisation étrange des richesses frontalières. Il faudra bien qu'à un moment ou à un autre, il y ait un dialogue qui ne soit pas simplement un dialogue conjoncturel mais un dialogue structurel : comment, dans cette région du monde, on partage l'espace, on partage les richesses et on accepte de comprendre que la géographie a ses lois, que les pays changent rarement d'adresse et qu'il faut apprendre à vivre les uns à côtés des autres.
Enfin, terminons brièvement, cette fois-ci, par l'Europe. J'ai la conviction que le monde a besoin d'une Europe indépendante, unie, imaginative, forte, qui soit l'amie du monde entier au sens prête à débattre avec le monde entier. Une Europe qui, je l'espère, se dotera enfin des institutions dont elle a besoin : un président élu pour deux ans et demi. Cela repose sur nos amis irlandais. Je veux rendre hommage au courage du Premier ministre Brian Cowen, qui a annoncé ce référendum pour le deuxième semestre 2009. Nous les soutiendrons. L'Irlande doit comprendre que l'Europe a besoin d'elle et peut-être qu'elle a besoin de l'Europe, comme l'a montré la crise financière. Ce qui permettra d'avoir une Europe qui pourra parler d'une seule voix, comme elle se doit de parler dans la crise du gaz où je voudrais appeler chacun à la raison minimum.
Pour l'Ukraine, la France a fait beaucoup. C'est sous la Présidence française que nous avons eu un partenariat renforcé. Je connais et je comprends les rivalités politiques. Elles ne doivent pas prendre en otage un conflit énergétique qui concerne des millions d'Européens qui attendent mieux. C'est la crédibilité de l'Ukraine qui est en jeu.
Quant à la Russie, je suis de ceux qui pensent que l'Europe doit avoir un accord structurel, stratégique de long terme avec les Russes, que nous n'avons rien à craindre de la Russie qui est un grand pays, avec qui, par ailleurs, nous partageons bien des cultures. Mais la Russie doit aussi faire le clair. Quand on fournit les deux tiers du gaz dont l'Europe a besoin, on respecte ses clients, comme les clients doivent respecter le fournisseur. C'est un problème de respectabilité et d'image. Je suis persuadé qu'un dialogue à haut niveau permettra de trouver un accord. L'Europe doit restée unie dans ses discussions avec les Russes, comme avec l'Ukraine. Le monde a besoin d'une Europe qui prenne des initiatives et qui n'ait pas peur de son ombre et qui, à l'arrivée, fait triompher les valeurs qui sont celles de l'équilibre, de la démocratie et du respect de ses voisins. Nous aurons encore bien d'autres questions, bien d'autres choses : l'OTAN et son avenir, sujet considérable, les initiatives que prendra le président élu des Etats-Unis, la Chine, qui doit utiliser toute sa place sur la scène internationale au service de la paix et du développement.
Vous le voyez donc, au fond, j'ai commencé en disant que cette année serait difficile. En finissant, je vais vous dire qu'elle sera passionnante. Parce que ce n'est pas toutes les années où l'on peut se dire : cette année vraiment, il y a des rendez-vous décisifs, absolument décisifs.
Mesdames et Messieurs, recevez donc les voeux du Premier ministre, du gouvernement et, bien sûr, les miens. Sachez que c'est un grand honneur pour la capitale de la France de vous accueillir, en quelque sorte de vous y recevoir et que, durant cette année 2009, ce sera, pour moi-même et pour mes collaborateurs qui sont ici, un grand plaisir de pouvoir nous appuyer sur la compétence du réseau des ambassadeurs sur le territoire de la République française. Bonne année à chacun.
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