ESPACE LITTERAIRE : A LA RECHERCHE DE NOTRE SOEUR...
Ce récit en immersion dévoile les rouages angoissants des disparitions inexpliquées. Un périple kafkaïen entre la France et le Japon.
« Dimanche 29 juillet 2018, dans la nuit, je suis réveillé en sursaut par un flash. Quelqu’un que je connais est en danger, je pense aussitôt à Tiphaine. » Damien Japon. Le 29 juillet 2018, en fin de matinée, Tiphaine Véron s’apprête à partir visiter les temples de Nikko, une cité touristique située au nord-est du pays. Ce voyage elle l’a préparé dans les moindres détails. Le lendemain matin, elle ne rentre pas à l’hôtel où elle séjourne. Commence alors une véritable enquête menée par sa famille pour la retrouver. Une course contre la montre racontée à travers les yeux de son frère Damien. « Tiphaine mérite qu'on fasse respecter ses droits. » « Tiphaine… si tu es en vie quelque part : courage ma soeur ! Jamais je ne t’abandonnerai. » Damien
BIOGRAPHIE
Frère aîné de Tiphaine, Damien Véron est diplômé en conception paysagère. Il se démène depuis août 2018 pour retrouver sa soeur. Il a fondé, en 2019, l’association Unis pour Tiphaine.
Sibylle Véron, la soeur de Tiphaine, est journaliste. Elle a notamment signé des reportages pour France 5, France 24, RFI, TV5 Monde et réalisé des longs formats pour France 2.
LES AUTEURS
Frère aîné de Tiphaine, Damien Véron se démène sans relâche depuis août 2018 pour retrouver sa sœur. Leader de cette quête entre la France et le Japon, il a fondé, en 2019, l’association Unis pour Tiphaine. Diplômé en conception paysagère, sa capacité et sa passion à décrypter les paysages et l’intérêt qu’il porte à l’hydrologie lui ont permis de diriger les recherches de terrain à Nikko. Meurtri, mais déterminé à connaître la vérité, il songe à aider d’autres familles traversant une épreuve similaire de disparition à l’étranger.
Sibylle Véron, la sœur de Tiphaine, est journaliste. Elle a notamment signé des reportages pour France 5, France 24, RFI, TV5 Monde… et réalisé des longs formats pour plusieurs magazines de France 2 (Tout compte fait, Au bout de l’enquête). Elle s’est appuyée sur ses compétences pour faire avancer les investigations et accompagner Damien dans l’écriture de ce livre.
Certains prénoms ont été modifiés dans l’intérêt de l’enquête toujours en cours. Les recettes des ventes de ce livre contribueront à financer le combat pour retrouver Tiphaine.
FEUILLETER /
PREMIÈRE PARTIE
CONVAINCRE LE JAPON
La disparition
En japonais, il existe trois types de caractères : les hiragana, les katakana et les kanji.
Dimanche 29 juillet 2018, dans la nuit, je suis réveillé en sursaut par un flash. Quelqu’un que je connais est en danger, je pense aussitôt à Tiphaine. Dans un état de semi-éveil, je tente de calmer mon angoisse avec une prière, puis je me recouche.
Au matin, je demeure particulièrement anxieux. L’inquiétude de toute la famille grandit les jours suivants, car ma sœur Tiphaine, partie pour le Japon le 27 juillet, ne donne plus signe de vie, alors que, depuis le début de son voyage, et comme à son habitude, nous avions des nouvelles régulières sur WhatsApp. Que se passe-t-il ? Nous essayons de nous rassurer en nous disant que le réseau téléphonique est probablement de mauvaise qualité dans la région où elle se trouve. Ou peut-être que le typhon traversant le pays à ce moment-là a endommagé les lignes du réseau téléphonique… Notre angoisse continue de s’accentuer jusqu’au moment où je reçois ce message sur Facebook, le mercredi 1er août, en milieu de matinée : Bonjour Monsieur, C’est l’ambassade de France à Tokyo, est-ce que vous pouvez nous contacter au (0081)3-… […] c’est au sujet de votre sœur Tiphaine, qui est actuellement au Japon et qui n’a pas donné de nouvelles à l’hôtel où elle résidait depuis quelques jours. Nous avons essayé de contacter vos parents en vain. Bien cordialement, La section consulaire de l’ambassade de France au Japon À peine ce message lu, j’en reçois un nouveau : Je vois que vous avez accepté notre demande, c’est urgent, contactez-nous au… ou donnez-nous un numéro où l’on peut vous joindre. Cette fois le message est signé d’un membre du Bureau des affaires juridiques et sociales. J’appelle immédiatement le numéro qui m’est communiqué, mais la personne au téléphone ne me dit rien d’autre que : « Nous devons parler d’urgence à vos parents. » Je les mets donc en contact avec ma mère qui est désormais officiellement prévenue de la disparition de Tiphaine. En concertation avec l’ambassade, nous attendons que la police locale nous appelle plus tard dans la soirée avec leur interprète.
ARRIVÉE DE TIPHAINE À L'AÉROPORT DE TOKYO NARITA.
Durant ce temps d’attente, nous discutons et essayons de nous rassurer. Tiphaine est probablement à l’hôpital. Le temps que les policiers fassent des recherches, ils n’ont pas encore eu l’information. Ma mère est désolée pour Tiphaine, elle pense qu’elle a eu un malaise et que son voyage qu’elle a si bien préparé est gâché. Elle dissuade même mon autre sœur de rentrer en trombe de sa randonnée dans le sud de la France et mon frère d’annuler un voyage prévu en Asie. De mon côté, je suis à Poitiers, mais sur le point de partir travailler au Royaume-Uni. Nous sommes dans l’expectative. Le Japon, ce n’est pas n’importe quel pays, les hôpitaux là-bas doivent être à la pointe de la modernité. Tout va vite rentrer dans l’ordre.
Quand vient l’heure de la discussion téléphonique avec l’interprète de la police locale, Akiko, nous découvrons avec stupeur que les policiers ont déjà balayé cette hypothèse : aucune ambulance n’a été appelée à Nikko, ni dans les environs. C’est un coup dur, car nous nous accrochions à l’espoir que Tiphaine puisse se trouver en sécurité dans un établissement médical.
La police évoque alors deux autres possibilités : un accident au cours d’une excursion ou un acte criminel. Leurs propos sont sans détour : Comment réagirait Tiphaine en cas d’enlèvement ?
Souvent, dans le cas d’une disparition, la police peut vous dire : « Elle est majeure, il faut attendre un délai de quarante-huit heures. » Ou encore : « Un adulte a le droit de disparaître. » Dans le cas de Tiphaine, les enquêteurs à Nikko sentent d’emblée que quelque chose cloche. Toutes ses affaires sont restées à l’hôtel, y compris son passeport, et après avoir « profilé » ma sœur, ils écartent la piste du suicide et celle de la disparition volontaire (pourtant nous découvrirons durant nos investigations qu’au Japon cela est un phénomène courant1). Ils savent que Tiphaine est épileptique, car ils ont mis la main sur un document officiel indiquant sa maladie (un papier que Tiphaine a pris soin de traduire en anglais, en français et en japonais).
Ayant préparé son voyage depuis très longtemps, ma sœur a également laissé à l’hôtel de nombreuses notes : chaque étape de son voyage est minutieusement répertoriée avec une liste de ses projets de visite, ce qui a permis à la police de se rendre rapidement sur différents lieux touristiques à Nikko, avec le passeport de Tiphaine pour demander aux gardiens : « Avez-vous vu cette personne ? »
En France, la police française rédige le soir même un procès-verbal intitulé : « Disparition inquiétante ».
L’évidence s’impose peu à peu à nous : il nous faut nous rendre au plus vite à Nikko. Nous ne serons pas de trop des trois frères et sœur pour mener des recherches, porter secours à Tiphaine, gérer les démarches sur place… pendant que notre mère assurera, en France, le fil rouge avec les enquêteurs. Personne d’autre n’aurait pu jouer son rôle, donner accès à l’appartement de Tiphaine pour les prélèvements ADN, par exemple. Mais quel calvaire, pour elle, de rester à Poitiers, séparée de nous si longtemps en pareille circonstance.
Nous pressentions tous déjà qu’il s’était produit quelque chose de grave, au moins d’anormal. À ce moment-là, la réalité la plus supportable est de se dire que Tiphaine est coincée quelque part et que l’urgence est de la retrouver au plus vite. Au mieux, elle se réveillera dans un lit d’hôpital, choquée, et pourra au moins se raccrocher à nos visages amis.
Déjà six jours écoulés sans une trace de ma sœur… Ce qu’il se déroule dans ma tête à ce moment-là, mon cerveau semble en avoir tout bonnement effacé certains passages, tant le choc a été important. Tout a basculé à l’instant où j’ai reçu le message de l’ambassade. Les jours suivants, j’ai été en pilote automatique. Il m’en reste quelques souvenirs kaléidoscopiques, des appels frénétiquement passés, le sentiment d’une attente d’autant plus intenable que le Japon se situe à dix mille kilomètres de la France. Ma sœur Sibylle et mon frère Stanislas étaient autant que moi sous pression sans que nous ayons eu besoin de l’exprimer. La peur et le besoin d’agir nous ont un peu plus unis, tout simplement. Vendredi 3 août, nous décollons pour le Japon, Sibylle et moi de Paris, Stanislas de Lyon. Nous ne nous doutions pas que, près de quatre ans plus tard, nous serions toujours en quête de vérité : Qu’est-il arrivé à Tiphaine ?
1. À ce sujet, voir Léna Mauger et Stéphane Remael, Les Évaporés du Japon, Les Arènes, Paris, 2014.
2 Un voyage préparé au cordeau
Poitiers est notre berceau familial depuis plusieurs générations et c’est de cette ville de l’ouest de la France que Tiphaine a soigneusement préparé son voyage. Pendant les week-ends, au sein de la maison familiale, Tiphaine partageait avec nous ses envies de visites, élaborait avec enthousiasme un tour du Japon qu’elle ferait seule et qui durerait dix-sept jours.
Nous sommes une fratrie de quatre enfants issue d’un même mariage et élevés par notre mère. Je suis l’aîné, Tiphaine est la deuxième, Sibylle, la troisième, et Stanislas, « le petit dernier ». Nos parents sont divorcés. Poitiers est la ville où nous avons tous grandi, très proches les uns des autres. Notre écart d’âge est assez faible, puisque de l’aîné au benjamin il y a moins de sept ans de différence. Cette proximité en âge a assuré des liens étroits entre nous malgré quelques distances durant l’adolescence. Nous avons tous des caractères assez différents, avec peut-être en commun une certaine bienveillance, qualité transmise par notre mère. Tiphaine, particulièrement, est très sensible et d’une grande gentillesse. Son sourire est solaire. Ses grands yeux verts, très communicatifs. Elle ne manque pas de surnoms affectueux. « Titi », « Titi chérie », « Tiphoune », « Chatoune », « Tifi », « Tititouf »… Parfois têtue, elle est aussi un peu susceptible.
J’ai toujours été admiratif de sa fibre artistique. Elle aime dessiner, peindre, et joue très bien du piano. Combien de fois a-t-on entendu la musique de son film culte La Leçon de piano résonner chez nous ? Quand elle aime quelque chose, un auteur, une musique, ça vire facilement à l’obsession ! Elle finit par connaître son sujet sur le bout des doigts. Diplômée en histoire de l’art, elle a à mes yeux une culture générale hors du commun. Son chat porte le nom d’un peintre expressionniste autrichien, Oskar Kokoschka, tout un symbole. Elle est aussi passionnée par les langues et d’autres civilisations, notamment la Russie et le Japon. Elle lit le cyrillique. Et, depuis quelques années, elle s’initie en autodidacte à l’alphabet japonais1 et s’entraîne avec l’aide de logiciels pour apprendre à parler la langue. Après un premier voyage en solo d’une dizaine de jours à Tokyo, en 2013, son rêve était de pouvoir y retourner.
Tiphaine, comme plus de 600 000 personnes en France, souffre d’épilepsie. Durant de nombreuses années, cette maladie l’a handicapée et donc privée, d’une certaine manière, de la liberté d’entreprendre. Malgré tout ce qu’elle a pu vivre, elle s’est toujours peu plainte de ses problèmes de santé. Elle connaît bien sa maladie et prend ses médicaments avec rigueur. Depuis près de trois ans, un traitement lui permet de vivre normalement. Grâce à ces progrès thérapeutiques, elle occupe un poste d’auxiliaire de vie scolaire dans deux écoles poitevines. Elle accompagne des enfants en difficulté. Aucun de ses collègues n’avait d’ailleurs pensé que Tiphaine était épileptique avant de le découvrir dans les médias.
Depuis sa plus tendre enfance, ma sœur a toujours adoré s’occuper des enfants. Issue d’une famille nombreuse, elle a été une véritable cheftaine scoute pour nos plus jeunes cousins. Son travail d’AVS est une vocation.
De nature prudente, mais déterminée, Tiphaine prépare donc le second grand voyage de sa vie au Japon. Cette fois, elle ira au-delà de la capitale nipponne. Même s’il existe toujours un risque lorsque vous êtes malade, il n’est pas question que son épilepsie l’empêche de vivre son périple. Après tout, elle y est déjà allée. Et puis elle a pris ses précautions. Elle a indiqué sur une carte que faire et qui contacter en cas de malaise. Elle ne se sépare jamais de son smartphone, lequel est un véritable traceur. Son neurologue lui a aussi donné quelques recommandations : se ménager au début du séjour pour bien supporter le décalage horaire.
Tiphaine n’a pas choisi sa destination au hasard. Connaissant la réputation du Japon, considéré comme un pays particulièrement sûr et raffiné, nous étions rassurés à ce sujet. Contrairement à la Russie, qu’elle avait d’ailleurs renoncé à découvrir seule pour des raisons de sécurité. Une fois sur place, ma sœur souhaitait être libre de ses activités. C’est aussi pour cela qu’elle n’a pas eu recours à un voyage organisé. Cinquante fois Tiphaine nous a répété : « Ne vous inquiétez pas, le Japon est le pays le plus sûr au monde ! » Les préjugés sont tenaces. Au fil de nos investigations, nous découvrirons pourquoi le Japon bénéficie d’un taux d’homicides aussi faible, l’une des raisons étant l’absence d’enquête en cas de disparition.
Dès son arrivée, elle a partagé avec nous son périple via un groupe familial créé sur l’application WhatsApp. Grâce à une carte dessinée par ses soins, nous pourrions suivre les différentes étapes de son voyage. Dans les grandes lignes : elle arrivait à Tokyo, passait par Nikko, sa deuxième escale, s’arrêtait à Akita, ville du nord de l’Archipel, ou encore à Kyoto plus au sud, et repartait d’Osaka.
Tiphaine a soigneusement noté chaque temple ou musée qu’elle veut visiter dans les villes où elle passe, inscrit à son agenda les matsuri, des fêtes populaires japonaises auxquelles elle souhaite assister. La plupart de ses hôtels sont réservés et son Japan Rail Pass, acheté en France.
Comme Tiphaine connaît la coutume japonaise d’offrir un cadeau aux Japonais qui l’accueilleront ou qu’elle rencontrera, elle glisse dans sa valise quelques présents comme des petits pots de miel du Poitou. Et pour faciliter la conversation avec ses hôtes, elle écrit des explications en japonais sur des cartes5. Elle le sait, les locaux seront sensibles à ces attentions.
Elle quitte Poitiers le 26 juillet, direction l’aéroport Charles-de-Gaulle. Depuis Roissy et même lors de son escale à Shanghai, nous recevons des photos et des impressions de son parcours. Elle est immédiatement dans le bain. Et cela se sent dans ses messages qui foisonnent d’émoticônes :
Ça y est, je suis bientôt dans l’avion, tout s’est bien passé. […] J’ai des yens. […] J’ai fini de dîner dans l’aéroport CDG à YO ! Sushi, on pourrait être aux aéroports de Narita ou Haneda à Tokyo.
[…]
Un bout de mon avion.
[…]
Bientôt dans le pays de Sun Wukong, l’enfant-singe en Chine, dont le créateur Akira Toriyama s’est inspiré pour Dragon Ball.
C’est avec joie que Tiphaine arrive à Narita le vendredi 27 juillet – l’aéroport porte le nom de la ville où atterrissent les avions. C’est là qu’elle a décidé de passer sa première nuit avant de rejoindre Nikko le lendemain. Il est 21 h 30.
Arrivée ! Je vous Whatsapp dès que je serai à mon hôtel ! Vous allez bien ?
Une heure plus tard :
J’attends le métro, ça va être rapide jusqu’à l’hôtel !
Le soir même ou le lendemain, la « dame de son hôtel » lui propose très gentiment de la conduire à la gare pour qu’elle puisse y prendre le train pour Nikko. Tiphaine arrive donc tout sourire à destination par le train le samedi 28 juillet vers 15 heures. Sur le trajet, elle s’enthousiasme : le pont millénaire, les touristes vêtus de kimonos, les montagnes à l’horizon. Vers 16 heures, elle fait son check-in à son hôtel, le Turtle Inn.
Aussitôt connectée au Wi-Fi, elle nous raconte ses premières impressions, prend de nos nouvelles et de celles de son chat, me demande un petit service pour son appartement. Elle regrette simplement d’arriver trop tard pour découvrir les temples.
Ça y est, à mon hôtel !… La propriétaire est adorable aussi, elle mixe le japonais avec l’anglais ! Elle est fan de tortues, en pierre, pâte à sel… Je lui ai offert une toute petite peluche tortue, elle a été trop contente ! L’hôtel est trop mignon, orange corail. Nikko est entourée de montagnes, ville plutôt traditionnelle. En tout cas le fait d’arriver à 16 heures m’empêche de visiter les temples, ça ferme à 17 heures, 16 h 30 dernière entrée. Bon, je pars lundi, il me reste un peu de temps !
Je me repose un peu et puis je vais dîner tôt. L’hôtel est super bien placé, je peux me promener facilement en ville.
Lorsqu’elle sort dîner, la météo se dégrade, il se met à pleuvoir des cordes. À sa grande amie Faty, elle explique : Les ruelles deviennent des piscines ! J’ai marché dans l’eau, chaussures inondées ! Mamma mia ! Heureusement c’est seulement cette nuit, ça sera plutôt nuageux/ensoleillé demain […]. C’est dommage pour une ville qui s’appelle « lumière du soleil ».
Elle se réfugie dans un konbini pour quelques heures, ces petits magasins de convenance, ouverts en permanence où les gens s’attablent pour dîner, s’offrir un café glacé, des magazines, aussi bien qu’acheter un tee-shirt Uniqlo. Deux touristes français y ont aussi fait escale. La conversation est enjouée. Ils se partagent les projets pour le lendemain. Les « Nantais » proposent de la raccompagner en voiture vers 21 heures, la pluie étant toujours battante. Tiphaine refuse poliment la proposition. Ça ne m’étonne pas, elle est toujours prête à rendre service, mais n’ose pas déranger les autres.
De retour à l’hôtel, elle consulte son téléphone, prépare son programme du lendemain (météo, visites, restaurants), puis se couche un peu avant minuit. Sa chambre est au rez-de-chaussée, elle s’endort probablement bercée par le bruit de la pluie et de la rivière toute proche.
Dimanche 29 juillet au matin, selon le témoignage de l’hôtelier, elle quitte l’hôtel vers 10 h 30, après y avoir pris son petit déjeuner, en compagnie d’autres touristes. Il fait chaud, la pluie a cessé, Tiphaine est habillée en tenue d’été, haut blanc en coton à manches courtes, short marron, tennis claires. Sur elle : son sac à main en bandoulière en cuir plastifié et à motif fleuri, et son téléphone portable. Le lendemain, lundi 30 juillet, elle doit quitter Nikko pour rejoindre Sendai. Mais, au matin, elle ne se présente pas au check-out. L’hôtelier, qui a fait le ménage dans sa chambre la veille, découvre que son lit n’est pas défait. Il intercepte une voiture de police dans la rue en milieu de matinée pour indiquer qu’une touriste française n’est pas rentrée.
Toutes ses affaires, sa valise, ses cartes de visite, les petits cadeaux préparés pour ses hôtes ainsi que son passeport se trouvent dans sa chambre d’hôtel. Tiphaine s’est volatilisée.
En japonais, il existe trois types de caractères : les hiragana, les katakana et les kanji.
Matsuri est le mot japonais qui désigne un festival ou une fête en l’honneur des divinités shinto principalement.
Le Japan Rail Pass permet aux visiteurs de voyager en illimité sur le réseau Japan Railways pendant sept, quatorze ou vingt et un jours.
3 Une première journée cauchemardesque au Japon
LA FAMILLE ET LES AMIS DE TIPHAINE LANCENT LA CAMPAGNE "DRAWING FOR TITI".
Ce samedi 4 août 2018 en début d’après-midi, notre avion atterrit à Narita, près de Tokyo. Je fais le voyage avec Sibylle. Nous sommes complètement sonnés et fatigués. Impossible de dormir pendant le vol. L’avion de Stanislas arrivant plus tard, il est prévu qu’il nous retrouve directement à Nikko dans la soirée.
Depuis le coup de fil nous apprenant la disparition de Tiphaine, une course contre la montre s’est engagée. Nos familles et nos amis l’ont tout de suite compris. Romain, Marine, Cécile, Marion, Marc, Maxime, Noémie, Alice, Simon, Laurent, Venceslas, Philippe, Charles-Henri, Henri, Anne, Pauline, Maxime, Ghislaine, Philippe, Alix, Sandra, Sandrine, Faty, Capucine, Ségolène… et tant d’autres, tous nous accompagnent pour ne pas perdre une seconde. Surtout en plein cœur de l’été. Certains prennent des conseils auprès de magistrats et d’avocats ou encore d’associations de disparus. D’autres se mobilisent sur Internet, créent un avis de disparition en franco-japonais, le diffusent sur les réseaux sociaux, le publient sur des forums d’aficionados du Japon. Cela n’a d’ailleurs pas été une mince affaire de trouver une photo de Tiphaine récente à faire circuler, tant elle n’aime pas poser devant un appareil… Mon amie Cécile et beaucoup d’autres fouillent le web à la recherche de photos de Nikko le jour de la disparition de Tiphaine. Pourrait-elle apparaître au hasard sur l’une de ces images ? Une page Facebook et un compte Twitter sont créés et dédiés à Tiphaine, ainsi qu’une adresse mail dans l’espoir d’obtenir des témoignages. Les croyants prononcent des prières. Des inconnus partagent avec nos proches des conseils en tout genre et mobilisent leur réseau professionnel. Notre oncle Henri se démène pour obtenir des contacts haut placés chez Google, dans le but de « faire parler » au plus vite le téléphone de Tiphaine. Nos cousins réussissent à prévenir le secrétaire d’État au Numérique, Mounir Mahjoubi à l’époque, et remontent jusqu’à la conseillère Asie à l’Élysée, Alice Rufo, pourtant en vacances. Ma mère est mise en relation avec un cyberenquêteur, Fabien Cozic, qui nous viendra plusieurs fois en aide par la suite. Marc di Rosa, ami journaliste, récupère les derniers messages vocaux laissés sur le répondeur de Tiphaine. De nombreuses personnes sollicitent leurs amis japonais pour nous aider une fois sur place à trouver un hébergement ou des interprètes. Une collecte de fonds est aussi lancée rapidement pour soutenir nos premières démarches à Nikko. Rien qu’avec les billets d’avion pris à la dernière minute et en plein mois d’août, nous sommes déjà « dans le rouge ».
Je prends d’ailleurs l’avion in extremis. Mon meilleur ami Marc sauve mon départ pour le Japon en faisant un aller-retour express en voiture en pleine nuit jusqu’à Paris pour m’apporter mon passeport, oublié à Poitiers dans la confusion. Durant le vol, j’écris au neurologue de Tiphaine, le Pr de Toffol. Nous savons qu’il est ami avec un éminent spécialiste japonais. Il avait parlé de lui à Tiphaine avant son premier voyage à Tokyo en 2013. Je préviens donc le médecin de la disparition de sa patiente afin qu’il puisse transmettre rapidement à son tour un compte rendu à son homologue nippon, Pr Kanemoto. À eux deux, ils pourront informer au mieux la police locale des manifestations de la maladie de Tiphaine. Si elle a fait un malaise, a été désorientée, ces précisions sont d’une grande valeur.
À ce moment-là, tout est nouveau. Nous faisons confiance aux policiers japonais. Aidés de leur interprète Akiko, ils sont nos principaux interlocuteurs. Nous avons d’ailleurs pu rapidement leur fournir les codes d’accès du compte bancaire de Tiphaine et ceux de sa boîte mail. Tiphaine les avait volontairement laissés à notre mère en cas de pépin, de manière qu’elle puisse gérer à distance.
Lorsque nous arrivons à l’aéroport de Narita, la température indiquée sur les panneaux d’affichage est de 42 °C ! En dehors des espaces climatisés, l’air est étouffant et terriblement humide. Pour rejoindre notre point de chute au plus vite, nous sommes obligés de faire un crochet par le cœur de Tokyo. À travers les vitres du train de banlieue qui nous conduit vers la gare centrale, je découvre le Japon pour la première fois. Je suis instantanément frappé par l’architecture des maisons. Elles me donnent l’impression d’être empilées, comme des Lego ou à l’image des conteneurs qui jonchent le port de Rotterdam avant d’être chargés sur les bateaux. À la différence que, ici, les tons sont clairs, gris ou crème.
En arrivant à la grande station d’Ueno, la foule est dense. Je suis extrêmement surpris, car les gens sont très disciplinés, tiennent leur gauche et surtout ne se bousculent pas. Le calme et même le silence règnent. À l’extérieur, les voitures ne klaxonnent pas et les rues sont immaculées.
Nous atteignons Utsunomiya à 16 heures. C’est la capitale de la préfecture à laquelle est attachée Nikko. Welcome to Tochigi, Tiphaine a pris la pancarte en photo à son arrivée dans la région. C’est l’une des quarante-sept préfectures du pays.
Le régime politique au Japon est une monarchie constitutionnelle, instaurée par les Américains après leur victoire en 1945. La Constitution japonaise est donc d’inspiration anglo-saxonne. Comme le monarque britannique, l’empereur japonais a un rôle honorifique, il n’intervient pas en politique. Les Japonais ont aussi hérité de l’ADN de la Constitution américaine. Sans aller jusqu’au système fédéral, les préfectures ont le droit à une certaine autonomie. Par exemple, le pouvoir judiciaire fait partie des prérogatives locales, permettant aux administrations d’être décisionnaires de leurs actions tout en étant soumises aux lois générales. Un fonctionnement qui aura son importance pour la suite de l’enquête.
Pour en revenir à Nikko, c’est une petite ville de 13 000 habitants (avec sa conurbation le nombre d’habitants grimpe à 85 000), mais c’est le lieu le plus touristique de Tochigi, avec des millions de visiteurs par an. Ses sanctuaires sont inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle est très bien desservie en train. À cent quarante kilomètres au nord-est de Tokyo, la durée du trajet varie selon les compagnies de deux à trois heures. Il y a de nombreuses liaisons chaque jour. Avec un changement souvent obligatoire à Utsunomiya si vous souhaitez payer vos billets moins cher. Pour ne pas perdre de temps et pour plus de simplicité, la police propose gentiment de venir nous chercher en voiture. À la gare d’Utsunomiya, Akiko nous reconnaît rapidement malgré la présence importante de touristes européens. Elle est accompagnée par le responsable de l’enquête au niveau préfectoral, Eiji Kikawa, un homme grand à lunettes, et par un jeune collaborateur, M. Watanabe – je ne connais pas son prénom –, que nous surnommerons très vite « Poupon » pour le différencier du « grand Watanabe », l’imposant responsable de l’enquête à Nikko, que nous rencontrerons plus tard.
L’ambassade de France restera silencieuse concernant notre arrivée au Japon. À l’inverse, nous sentons que les policiers japonais prennent notre présence au sérieux. Nous sommes accueillis chaleureusement. Autour de nous, il y a même une certaine agitation. Nos hôtes portent leur uniforme, nous saluent de la tête à de nombreuses reprises et nous indiquent la direction du parking, le corps incliné, signe de considération. Nous faisons notre possible pour leur rendre leur politesse par des gestes et les remercier de leur accueil. Ils sont aux petits soins. Ils nous offrent du thé en bouteille, nous installent dans leurs monospaces blancs confortables et climatisés. Mais très rapidement les maladresses liées à nos deux cultures si différentes se font ressentir.
Avec un petit rire aigu et gêné Akiko commence par nous dire : « Oh oui, il fait chaud, c’est difficile de résister longtemps sous cette chaleur ! » Nous nous regardons interloqués avec Sibylle, car notre principale inquiétude, depuis la disparition de Tiphaine, est qu’elle puisse être quelque part, blessée et bloquée dans une cavité, dans l’attente d’être secourue. Nous avons conscience que l’être humain n’a pas les capacités de vivre longtemps sans alimentation ni eau, encore moins si la température grimpe…
Le convoi composé de plusieurs voitures de police s’élance avec empressement vers Nikko. Sur le trajet, les policiers nous détaillent leurs premières actions et exposent leur théorie. Ils nous expliquent avoir trouvé dans la valise de Tiphaine une sorte de feuille d’activités concernant Nikko. Une liste de visites programmées par Tiphaine. Comme tout était écrit en français et en japonais, ils ont très vite compris de quoi il s’agissait. Des équipes de police ont donc été envoyées patrouiller dans ces zones depuis sa disparition. L’équipe nous montre des photos de Tiphaine prises par les caméras de surveillance de la gare d’Utsunomiya à 14 heures1, où elle a effectué sa correspondance en train, et de celle de Nikko à 15 heures, lors de son arrivée, le samedi 28. Ses cheveux châtains sont détachés et lui tombent sur les épaules, elle porte un tee-shirt vert émeraude, un pantalon fluide blanc et noir, des mocassins en cuir souple à motifs que nous lui connaissons bien et elle tire sa valise couleur pourpre derrière elle.
Soudain, sous nos yeux, alors que nous écoutons les explications, « Poupon » sort la photo d’un foulard, un grand carré bleu et blanc en coton, posé sur le sol, légèrement couvert de terre et de feuilles. Nous ne connaissons pas ce foulard, mais vu le style nous pensons qu’il peut appartenir à Tiphaine. Un sentiment de panique monte en moi en apercevant cette pièce de tissu sans en comprendre le contexte. Est-ce une scène de crime dont ils n’ont pas voulu nous parler avant ? Des vêtements ont-ils été retrouvés quelque part ? Attendaient-ils notre arrivée pour nous en informer ? Une tonne de questions nous traversent l’esprit.
Pendant de longues minutes, personne ne prend le temps de nous expliquer ce qu’il se passe. Les échanges se font uniquement en japonais, sûrement le temps d’une mise au point. Finalement la police commence à évoquer l’hypothèse la plus probable selon eux : Tiphaine a certainement fait une chute dans la rivière qui coule à proximité de son hôtel. Les conditions climatiques ont été mauvaises à Nikko à cause du passage d’un typhon, le niveau de la rivière a monté, rendant les berges glissantes et provoquant des accidents.
Il s’agit donc simplement d’un foulard retrouvé près de la rivière en question sur un site appelé l’abysse de Kanmangafuchi (Kanmangafuchi Abyss, en anglais), une gorge formée par une explosion volcanique des milliers d’années auparavant, bordée par un alignement de « bouddhas fantômes », appelés « Narabi Jizo » ou « Bake Jizo », Jizo étant la divinité protectrice des enfants morts. D’après la légende, le nombre de statuettes n’est jamais le même d’un jour à l’autre. Tiphaine avait prévu de s’y rendre pour admirer ces sculptures coiffées de bonnets et bavoirs rouges.
« Reconnaissez-vous ce foulard ? » « Tiphaine-san2 a probablement dû laisser échapper son foulard et elle a glissé en voulant le rattraper. » Nous n’avons jamais vu ce foulard. Sibylle envoie une photo à notre mère pour lui demander confirmation (en prenant bien soin de zoomer dans l’image pour ne pas lui faire peur à son tour). « Je ne le connais pas. » Comme nous, elle n’exclut pas que ce carré lui appartienne. Mais nous précisons à la police que notre sœur n’aime pas spécialement les accessoires. Ainsi Tiphaine porte-t-elle très peu de bijoux. Et elle nous a souvent dit qu’elle trouve désagréable d’avoir quelque chose autour du cou, surtout quand il fait chaud.
Toujours en voiture, nous traversons le centre-ville de Nikko. Les policiers veulent nous montrer quel a été le chemin emprunté par Tiphaine le jour de son arrivée, de la gare jusqu’à son hôtel. Bien que Nikko soit une petite ville, il existe deux gares très proches l’une de l’autre. La JR, pour Japan Railways, la plus grosse compagnie ferroviaire du Japon, et la Tobu, du nom d’une autre compagnie privée qui possède de nombreuses lignes et gares à Tochigi et dans les préfectures voisines. Tiphaine est arrivée à la station JR.
Tous les taxis de la ville et tous les bus permettant de rejoindre les zones touristiques de Nikko se massent à la hauteur des deux gares, autour d’un terre-plein central. Tiphaine aime marcher, on comprend donc qu’elle ait préféré remonter l’artère principale à pied. Ça grimpe, comme à Poitiers ! La ville est entourée de montagnes ! Pour plaisanter, les interprètes qui travailleront pour nous par la suite appellent cette avenue les « Champs-Élysées de Nikko ». L’architecture n’a rien d’attrayant, mais c’est bien là que fourmillent boutiques de souvenirs et magasins de confiseries japonaises ; restaurants de ramen, de gyoza ou de yuba (une spécialité locale tirée de lait de soja bouilli), bouis-bouis de brochettes, adresses gastronomiques et immense fast-food à la clientèle familiale. La majorité des hôtels se concentre, a priori, autour de cet axe. Certains jours, des dresseurs de singes présentent un spectacle à succès devant l’office de tourisme. Ce décor défile pour la première fois sous nos yeux, il sera bientôt familier, au point d’y avoir des habitudes.
Deux kilomètres plus haut, l’avenue débouche sur le Shinkyo, le pont rouge millénaire3, fierté de la ville, et sur l’entrée des sanctuaires. Les temples shinto (Tosho-gu, Futarasan) et bouddhistes (Rinno-ji) et les musées de Nikko sont rassemblés dans une immense enceinte au cœur du parc national4. Nikko est encerclée de collines et de montagnes avec une végétation assez dense, composée principalement de conifères comme des cèdres du Japon qui recouvrent le mont Nakimushi faisant face à la ville. Avant de venir ici, je n’imaginais pas un seul instant découvrir un paysage montagnard. Nikko est une enclave au milieu des montagnes et cela donne l’impression d’être pris au piège par la nature. Je me sens en total décalage avec la joie et l’ambiance de la plupart des visiteurs. Car en remontant cette grande rue en voiture, nous réalisons que le nombre de touristes est colossal à Nikko. Le public n’est pas seulement international. La visite des sanctuaires est une sortie scolaire fréquente pour les écoliers japonais, de nombreux groupes viennent y passer la journée. Et la proximité avec Tokyo a sûrement une incidence sur la fréquentation. La majorité des voyageurs se masse aux abords du Shinkyo Bridge (le pont Shinkyo), du Tosho-gu ou encore de certains lieux réputés comme le site de Kanmangafuchi. En revanche, dès que vous empruntez une promenade en périphérie de ces zones touristiques, vous êtes rapidement seul, le contraste est saisissant.
Nikko est aussi un lieu de villégiature prisé. L’empereur du Japon y a une résidence secondaire. Plusieurs ambassades disposent d’une villa historique. C’est le cas de l’ambassade de France au Japon, à quarante minutes du centre-ville, au bord du lac Chuzenji. D’ailleurs, le consul de France résidait à la maison du lac le week-end de la disparition de Tiphaine. Un siècle avant lui, l’écrivain et diplomate Paul Claudel aimait y séjourner. Il y aurait même écrit une partie de sa pièce de théâtre Le Soulier de satin. Mais pour être honnête je le connais surtout pour être le frère de la sculptrice Camille Claudel dont Tiphaine est absolument fan.
Après avoir remonté les « Champs-Élysées » et passé le célèbre pont rouge, nous longeons la rivière Daiya jusqu’à dépasser l’hôtel de Tiphaine, le Turtle Inn. La police nous indique que nous y reviendrons afin de rencontrer l’hôtelier, mais ils veulent d’abord profiter de la lumière du jour pour nous montrer l’endroit où a été découvert le fameux foulard.
Je prends conscience à ce moment-là que cette petite auberge familiale à la façade orange est excentrée du centre commerçant de la ville. Tiphaine a choisi cet hôtel pour être proche des temples et des musées. Ce coin-là est principalement résidentiel. Il y a peu de monde dans les rues. C’est un des quartiers les plus anciens de Nikko, la résidence de l’empereur est à quelques minutes à pied. Plus tard, nous remarquerons que de nombreuses maisons y sont abandonnées. Les héritiers, originaires de Nikko de génération en génération, refuseraient de les revendre à des « étrangers », sans les habiter pour autant. Ces maisons finissent par dépérir.
Un autre constat nous saute aux yeux : il existe beaucoup d’impasses et de nombreux parkings isolés. Pour kidnapper quelqu’un l’endroit est plus que propice…
Après avoir stationné leurs voitures sur le parking de Kanmangafuchi, les policiers nous invitent à les suivre en direction de l’alignement de bouddhas5. Très vite, je me fais la réflexion que les chemins sont bien entretenus et balisés. Des garde-corps sont placés aux endroits considérés comme dangereux et des panneaux avec des dessins illustrent le danger potentiel. Tiphaine, passionnée par les codes culturels japonais depuis des années, le sait parfaitement : au Japon, vous ne vous faites pas remarquer en bravant les interdits. Je ne la vois absolument pas prendre le risque de sortir des sentiers battus. Cependant, les policiers nous font prendre un chemin pas vraiment réglementaire pour nous approcher de la rivière. Des touristes s’aventurent quelquefois sur ces parois rocheuses, où se dresse un abri en bois, afin d’y prendre des photos. La rivière est transparente avec de jolies cascades. Le courant semble puissant, mais plus tard je verrai tout de même des adolescents se baigner à cet endroit, les cavités formant des bassins naturels. Un peu plus en contrebas de ces gorges, j’apercevrai aussi des enfants en train de jouer dans la rivière. Il n’y a aucun fond, ce qui permet de voir les cailloux polis par le courant.
Face à nous, par terre : le foulard !
« Voilà le foulard, Tiphaine-san est tombée ici. » Tout en mimant la scène : « Peut-être s’est-elle trop approchée du bord en voulant faire une photo et a dérapé ? » Ils semblent sûrs d’eux. De notre côté, on s’interroge : « Êtes-vous certains que ce foulard appartient à Tiphaine ? Dans ce cas-là, il faut tout de suite le prendre avec vous, c’est une preuve importante ! » Un policier nous regarde, estomaqué, il agite ses deux mains. « Non, non, non ! Au Japon il est interdit de ramasser un objet, son propriétaire doit pouvoir le retrouver s’il revient le chercher. » Posé sur le carré de coton, il y a aussi un petit carnet, le genre de brochure distribuée par l’office de tourisme, en l’occurrence en coréen ou en chinois.
Nous ne parvenons pas à nous comprendre. La situation nous paraît absurde. Comment peut-on laisser ce qui pourrait être une pièce à conviction se dégrader à l’air libre ? Mais peu importe, s’ils pensent que Tiphaine a pu tomber dans la rivière, dans ce cas-là il est urgent de programmer des recherches ! J’évoque avec eux l’intérêt de faire appel à des plongeurs et même à des chiens au plus vite. En m’emballant ainsi, sans le savoir, je commets un impair. Aux yeux des policiers, ces suggestions sont de l’ordre de l’affront. Comment ce Français tout juste débarqué au Japon peut-il se permettre de leur dire quoi faire et comment le faire ? Ils ne nous ont pas attendus pour mener des recherches et ils n’ont d’ordres à recevoir de quiconque. Leur réaction est frileuse. « Les pêcheurs nous avertiront s’ils découvrent quelque chose. » Avec des bruits de bouche bruyants dignes d’un manga, ils expliquent qu’il y a beaucoup de courant et qu’il n’est pas envisageable d’effectuer des recherches.
MARCHE À POITIERS ORGANISÉE POUR TIPHAINE, EN PRÉSENCE DU MAIRE DE POITIERS PS ALAIN CLAYES ET DU DÉPUTÉ LA REM SACHA HOUILLÉ.
Après une discussion de sourds concernant le foulard et les recherches à entreprendre, nous laissons le tissu sur place et nous les suivons cette fois à l’hôtel où a séjourné Tiphaine.
Dans un message sur notre groupe WhatsApp, Tiphaine nous a dit avoir été chaleureusement accueillie par la propriétaire de l’hôtel, précisant que celle-ci avait été ravie de l’attention qu’elle avait eue pour elle, une petite tortue en peluche. Le nom « Turtle Inn » serait directement lié à la passion de Mme F. pour les tortues, ma sœur lui avait donc réservé un cadeau sur mesure à ajouter à sa collection.
À notre arrivée, la police nous présente à l’hôtelier comme le frère et la sœur de Tiphaine. Son visage se décompose et son regard se fige, M. F. est complètement désarçonné. Sa femme est là aussi, sur ses gardes. Elle se tient debout à côté de son mari attablé devant nous. On voit la petite peluche tortue qui a été ajoutée à sa collection dans le réfectoire, là où Tiphaine a été vue pour la dernière fois en train de prendre son petit déjeuner. Dernière preuve tangible de la présence de notre sœur dans cet univers déconcertant, Sibylle demande à voir ce souvenir. La propriétaire va le chercher à contrecœur et le pose sur la table sans aucune délicatesse. Son hostilité est palpable et assez déroutante.
Les échanges sont un peu laborieux, gênés. Nous demandons au propriétaire de nous raconter ses derniers souvenirs de Tiphaine, puisque c’est lui le dernier témoin à l’avoir vue. À quelle heure Tiphaine a-t-elle quitté l’hôtel ? Il répond vers 10 h 30. Il lui a dit « ki wo tsukete », une formule d’usage au Japon qui signifie « soyez prudente ». Il ajoute qu’il n’a pas vu dans quelle direction elle allait à cause des véhicules garés à l’avant de l’hôtel et obstruant les fenêtres. Avant de partir, il explique que Tiphaine a pris son petit déjeuner dans la salle commune à côté d’un couple d’Allemands.
Nous demandons alors à l’hôtelier et à la police si ces personnes ont été contactées. « Non, non, il ne faut surtout pas déranger les clients. » Nous comprenons que la tranquillité et la réputation de l’hôtel sont en jeu. Cette fois, c’est nous qui nous décomposons. Six jours après la disparition de Tiphaine, il n’y a pas l’ombre d’un indice et les dernières personnes à lui avoir parlé n’ont pas été interrogées.
Nous parvenons à un accord : si ses clients allemands lui en donnent l’autorisation, l’hôtelier pourra nous transmettre leurs coordonnées. Heureusement cet aubergiste parle bien anglais, ce qui nous permettra d’échanger directement avec lui à l’avenir.
M. F. est originaire de Nikko. Il a repris l’hôtel de ses parents avant d’en ouvrir un second, l’Annex Turtle, juste à côté du parking de l’abysse de Kanmangafuchi. D’ailleurs, il vit là-bas avec son épouse. Le Turtle Inn, c’est le domicile de sa fille, elle y a une chambre à l’étage. D’après nos informations, M. F. est une figure locale, impliquée au conseil municipal. Il aurait fondé un réseau d’auberges traditionnelles à travers le Japon et présiderait une association d’alpinistes. Le mois suivant la disparition de Tiphaine, il serait du reste parti plusieurs jours en randonnée. En résumé, un homme dynamique et sportif.
C’est compliqué de se faire un avis objectif sur cette première rencontre, surtout que je connaissais très peu de Japonais à cette date. Ce qui est certain, c’est que, contrairement aux personnes que je rencontrerai ultérieurement, son attitude m’a semblé assez étrange. Celle de sa femme également. De manière générale, les Japonais me semblent avenants et serviables. Et nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à abréger une discussion par politesse. Tout le contraire de l’hôtelier. Alors que nous commençons nos propres recherches aux alentours de l’hôtel, nous le croiserons assez fréquemment, puisqu’il promène chaque jour son chien dans les environs, un colley à poil long prénommé « Chocolat ». Sans être paranoïaque, son attitude me paraîtra plus que surprenante. Un jour, par exemple, après m’avoir croisé, il se retournera sans cesse pour vérifier s’il n’est pas suivi. Par peur des représailles peut-être ? Quelques jours plus tard, en compagnie de Sibylle, je le rencontrerai un peu à l’écart des habitations. Il nous interpellera les yeux écarquillés, son index et son majeur pointés sur nous : « Are you alone ? Where is your brother ? Where is your brother ? » Je me souviendrai toujours de son expression paniquée. Ce jour-là, Stanislas était parti vérifier la disposition des caméras dans l’enceinte du Tosho-gu.
Nous quittons l’hôtel, il est 19 heures environ, mais la nuit est déjà tombée quand nous arrivons au commissariat, où nous attend le chef de l’enquête de la section de Nikko, Watanabe.
Le commissariat de Nikko se situe près de la gare, dans un bâtiment datant des années 1980. Une sorte de grand bloc blanc, à l’intérieur crème défraîchi. À l’entrée, derrière un comptoir d’accueil, il y a un vaste open space où l’on peut voir une vingtaine de policiers s’affairer devant leurs écrans. En montant les marches, nous apercevons ce qui doit être « la salle de crise », une vaste pièce avec un grand tableau sur lequel sont épinglés des photos et des documents relatifs à l’affaire « Belon-san ». Belon étant la façon japonaise de prononcer notre nom de famille (Véron). Un officier ferme vite la porte de la pièce, tout en faisant un petit salut de la tête. Ce QG avait l’air tout droit sorti d’un film policier. Les lieux sont vétustes, mais leur travail me donne l’impression d’être appliqué. On nous fait finalement entrer dans une salle de réunion au deuxième étage. Là non plus nous ne le savons pas encore, mais c’est dans ce décor austère que nous passerons de très nombreuses heures au fil des mois.
J’attends beaucoup de cette discussion au calme dans un bureau. Pour l’instant, je ne suis pas du tout rassuré, entre la piste du foulard bancale et la curieuse réaction de l’hôtelier. Et puis, nous voulons comprendre ce qui a été entrepris de manière concrète depuis la disparition de Tiphaine. Des témoins semblent ne pas avoir été interrogés. Sur le terrain, quelle a été la portée réelle des recherches ?
Watanabe-san est très grand, brun, la quarantaine ou peut-être la cinquantaine. Il a un côté shérif japonais. Et contrairement aux policiers qui nous ont accompagnés durant l’après-midi, il est beaucoup moins détendu. Il dit avoir passé beaucoup de temps à visionner des images de vidéosurveillance, des caméras des lieux publics, des sanctuaires, ou encore des bus. Un travail tellement considérable qu’il nous explique avoir dormi sur place, ne pas être rentré chez lui depuis trois jours. Akiko, l’interprète, nous dira qu’en réalité il est fréquent qu’il reste dormir au commissariat, car sa maison est loin de Nikko.
Il sort ensuite de son classeur une photo de Tiphaine datant du samedi soir, prise par la caméra d’une supérette à dix minutes à pied de son hôtel, à son entrée en début de soirée7. Elle rayonne, son enthousiasme est frappant. Pour le dimanche, en revanche, ils n’ont rien. Tiphaine n’apparaît sur aucune caméra de surveillance. Alors l’enquêteur revient à la thèse de la noyade.
L’officier devant moi me répète que la rivière était en crue à cause du typhon Jongdari. Il n’a pas vérifié les chiffres, moi non plus, pas encore, mais selon lui le niveau de la rivière est énormément monté. Il estime, toutefois, qu’il est peu probable que le corps ait été emporté jusqu’à la mer, puisque sur les derniers kilomètres de rivière avant la mer il y a énormément d’habitations permettant très facilement de repérer un corps. Des pêcheurs ou des promeneurs verront bien quelque chose.
J’écoute avec attention son analyse avant de réitérer ma demande. S’il pense que Tiphaine est tombée dans la rivière, il est logique de la sonder, d’organiser des recherches le long des berges. Difficile de leur fournir des arguments solides pour les convaincre d’intervenir à ce moment-là malheureusement. Ils ne manqueront pourtant pas à l’avenir : les infrastructures sont nombreuses sur cette rivière Daiya, barrages et brise-courants sont autant d’obstacles au passage d’un corps. La rivière a aussi peu de fond sur des kilomètres et des kilomètres, et son lit s’élargit progressivement. Des corps y sont retrouvés régulièrement, échoués sur les rivages. Des pêcheurs notamment à la suite d’une chute mortelle, car la pêche est un sport national au Japon et, en aval de Nikko, il y a plusieurs spots connus. Bref, si Tiphaine s’est noyée comme ils le prétendent, son corps peut être coincé quelque part près d’ici.
NOUVEAU DÉPLACEMENT DE DAMIEN ET SIBYLLE AU JAPON.
Je suis désarmé et, face à moi, c’est une fin de non-recevoir : les policiers ne voient pas l’intérêt d’entreprendre des recherches. Devant ce nouveau refus, je commence à perdre mon sang-froid. La noyade n’est pas la seule explication possible à la disparition de Tiphaine, j’insiste donc pour que des battues soient organisées dans les forêts environnantes : « Très bien, vous ne voulez pas examiner les abords de la rivière, mais il faut au moins faire des recherches avec des chiens en partant de l’hôtel pour retrouver sa trace ! Imaginez qu’elle se soit perdue, ou qu’elle soit tombée dans une crevasse lors d’une promenade ? Elle doit attendre qu’on vienne la secourir ! Une semaine s’est déjà écoulée, il faut agir au plus vite. » Akiko a alors un petit rire aigu. À l’époque, je ne comprenais pas qu’on puisse rire dans un contexte tendu, mais dorénavant, avec mon expérience du Japon, je comprends que cela soulignait avant tout une gêne. À y réfléchir, il m’arrive moi-même de sourire dans une situation délicate.
Mal à l’aise, l’interprète traduit mon désarroi. Watanabe s’énerve à son tour : « Nous avons déjà fait beaucoup de choses, une voiture de police a été envoyée dans chaque lieu noté par votre sœur, tant qu’il n’y aura pas de nouveaux indices nous ne ferons pas de recherches. » Sibylle aussi est à cran, elle réplique : « Quelqu’un de malveillant a peut-être fait du mal à Tiphaine ? Et si Tiphaine avait fait une crise d’épilepsie et qu’un témoin ait paniqué au lieu de lui prêter assistance ? L’hôtelier par exemple ? » Watanabe se crispe. « L’hôtelier est un homme bien, il n’est pas coupable. » Ne faut-il pas chercher des indices pour en trouver ? C’est sans appel, nos requêtes ne trouvent aucun écho et elles sont interprétées une nouvelle fois comme un manque de respect. « Vous ne considérez pas notre travail, nous avons commencé nos recherches sans vous attendre. Maintenant, nous devons régulariser le dossier. »
À bout de nerfs et épuisés par le voyage, nous nous retrouvons chacun à signer une série de papiers. L’exercice prend un temps infini. L’éclairage est glauque avec ces grands néons au plafond. Les policiers nous demandent l’autorisation de garder un rasoir en plastique blanc et la brosse à dents de Tiphaine pour réaliser d’éventuels prélèvements ADN. Ils tamponnent nos décharges à l’encre rouge. Tous les Japonais possèdent des hanko, ces petits sceaux avec leurs noms sculptés, nécessaires pour parapher des documents officiels. Nos policiers manient les leurs avec autant de précision que de lenteur.
Vous allez récupérer la valise de votre sœur.
Sibylle est interloquée. « Imaginez que quelqu’un nous la vole ? N’est-ce pas une pièce à conviction ? Et qu’allons-nous faire de cette valise, alors que nous n’avons nulle part où dormir ? » « C’est la procédure », nous explique Akiko. L’inspecteur Watanabe nous fait comprendre que notre présence au Japon n’est plus nécessaire et que l’enquête va s’arrêter là faute de nouveaux indices.
Nous sortons du commissariat, déconfits. Je tire la valise de Tiphaine derrière moi. Stanislas sera là dans quelques minutes. Réunis devant la gare, dans le coin fumeur (rien ne pourrait laisser penser que nous venions tous d’arrêter la cigarette), nous lui racontons le déroulement de la journée à son arrivée. Sans préparation, seuls pour affronter cette rencontre avec les responsables de la police de Nikko, cette journée a été un fiasco. Les policiers sont déterminés à ne plus rien faire. L’agent de permanence de l’ambassade de France est prévenu, mais nous ne sommes pas sûrs que nos représentants français vont se décider à réagir. Nous nous sentons absolument abandonnés dans ce pays si différent du nôtre, découvrant un des pires aspects de cette culture que Tiphaine aime tant.
22 heures, nous voilà donc tous les trois dehors, avec la valise de Tiphaine, meurtris et sans logement. Tous les hôtels à plusieurs kilomètres à la ronde sont complets. Romain, le compagnon de Sibylle, peine à nous réserver une chambre. Durant cette période touristique chargée, la dernière solution pour passer la nuit à Nikko est de dormir dans une auberge de jeunesse bondée. Entre le décalage horaire, les ronflements de nos compagnons de dortoir, l’inquiétude que la valise de Tiphaine puisse être volée et sa simple présence silencieuse sous un lit superposé, symptôme d’une situation inimaginable, impossible de trouver le sommeil.
Distribution de somnifères. De la France, nos amis remuent ciel et terre pour trouver des solutions afin de nous aider. Leur travail va porter ses fruits. Le matin, deux anges gardiens nous attendent. Patrick Hochster et son fils Christopher. La machine médiatique va se mettre en marche, pour soulever l’indignation et obliger la police à agir.
Au Japon, dans le niveau de politesse standard, le suffixe « -san » est accolé au prénom pour désigner la personne.
4 Révoltés
Le décalage horaire de la France vers le Japon est l’un des pires que j’aie pu rencontrer, j’ai dû dormir trois heures, pas plus. Nous nous réveillons ce dimanche 5 août 2018, Stanislas, Sibylle et moi, complètement abrutis.
Soumis à un haut niveau de stress, nous avons pris des somnifères au point de louper notre réveil. C’est avec brutalité que le responsable de l’auberge vient nous presser de quitter le dortoir. Cet homme n’a aucune empathie, et pourtant nous lui avons expliqué pourquoi nous sommes ici. Je me rappelle Sibylle me réveillant en état de panique et, devant mon lit superposé, le responsable de l’auberge en train de s’énerver en japonais. Rassemblant au plus vite nos affaires, nous quittons les lieux, sauf Stanislas qui n’a pas fermé l’œil de la nuit et qui demande à l’aubergiste s’il peut prendre une douche. Ce dernier accepte mais, vu l’heure (de mémoire, il n’est même pas 9 heures), moyennant une taxe supplémentaire. Le genre de comportement rigide insupportable à mes yeux, que mon frère, quant à lui, reçoit avec fatalisme.
Après un réveil difficile, nous allons heureusement entrevoir une légère éclaircie. Noémie, une amie de Sibylle travaillant à cette époque pour une grande marque de mode française, a contacté l’un de ses collaborateurs au Japon. Un proche de la créatrice chargé de projets événementiels et de l’image de la marque au Japon, Christopher Hochster. Il est japonais et il a fait le déplacement de Tokyo jusqu’à Nikko pour nous venir en aide, en compagnie de son père Patrick. Nous prenons un café tous ensemble au Nikko Park Lodge, un hôtel tenu par une Philippine et son mari japonais, Sei et Ken. Une tour de quelques étages, en face de la gare. Cet endroit va devenir notre QG et même notre refuge, où nous allons enfin pouvoir trouver une chambre pour poser nos valises et sécuriser celle de Tiphaine qui peut contenir des éléments essentiels à l’enquête.
Nous racontons à Christopher et son père comment se sont déroulées les choses depuis le début. Patrick est outré que personne de l’ambassade de France n’ait été là pour nous accueillir et il décide de les appeler pour faire part de son mécontentement. Il leur explique qu’ils doivent venir aussi rapidement que possible à Nikko pour nous soutenir face à l’inertie de la police. Patrick Hochster peut se permettre d’intervenir auprès de l’ambassade, puisqu’il est un personnage emblématique de la communauté française au Japon1. Christopher nous explique qu’il est dans notre intérêt de médiatiser la disparition de Tiphaine pour obliger la police locale à une mobilisation conséquente. En quelques heures, il se transforme en notre attaché de presse. Dans son carnet d’adresses figure le nom d’un ancien inspecteur de police devenu journaliste, M. Ogawa, qui est sur les starting-blocks.
Taihei Ogawa a travaillé trente ans dans la police criminelle, à Kanagawa ou encore pour le ministère de la Police, et depuis quelques années il est au cœur d’un célèbre show télévisé, Wide ! Scramble. En termes de notoriété, c’est en quelque sorte le Christophe Hondelatte japonais dans « Faites entrer l’accusé ».
Ce dimanche 5 août 2018, Ogawa débarque à Nikko avec son équipe pour nous rencontrer et, très vite, il décide de faire un sujet sur Tiphaine. S’il n’avait pas eu le sentiment qu’il s’agissait d’une disparition inquiétante, il serait aussitôt parti, nous a-t-il expliqué. Corentin Faiche, consul de France au Japon, arrive à son tour. Nous le rejoignons sur le parking de l’Annex du Turtle Inn (le second établissement de M. F.) avec Ogawa, Christopher et Patrick. Les yeux rouges, il semble ne pas avoir beaucoup dormi et visiblement il est déjà tendu. Nos premiers échanges n’arrangent rien. Encore marqués par la journée de la veille, nous manquons de tact et de calme. Le ton monte très vite, nous lui reprochons d’avoir dormi avec le fantôme de notre sœur et de ne pas nous avoir accompagnés dans nos premières démarches avec la police. Dans un moment d’agacement, acculé, le consul nous dira : « On ne vous a pas demandé de venir. »
Sibylle, Ogawa, Patrick, tout le monde lui est tombé dessus à sa sortie de voiture. Aujourd’hui je comprends sa réaction et j’ai pardonné ce moment de lâcher-prise. Surtout qu’il s’est donné la peine de venir nous rencontrer un dimanche, il a dû également abréger ses vacances, et même décaler son départ du Japon, alors que son mandat prenait fin.
Une réunion s’improvise ensuite sur le parking de Kanmangafuchi Abyss, coincé entre des toilettes publiques, une maison de thé et des bâtisses en bois chancelantes. Sont présents le consul, un agent de permanence de l’ambassade, les inspecteurs Kikawa et Watanabe et d’autres policiers, l’équipe de télévision, Patrick, Christopher et notre fratrie. La tension est à son paroxysme. Christopher va prononcer des mots assez durs contre l’officier présent, le jeune Watanabe, dont je perçois toute la colère sur son visage et dans son regard. Christopher lui dit qu’il a honte d’être japonais en voyant comment la police se comporte et qu’il est furieux que le foulard qui est peut-être une pièce à conviction fondamentale ne soit pas ramassé. Évidemment, je ne saisis pas d’emblée la scène, les échanges se déroulant en japonais. Akiko m’en a reparlé un jour et m’a dit : « Toi aussi, Damien, cet officier te déteste. » Étonné, je me suis défendu, n’ayant rien dit et surtout n’étant pas en mesure de comprendre. Elle m’a répondu d’un air malicieux : « Je ne sais pas, mais il ne t’aime pas. »
Comme le fameux foulard est sur le point de tomber dans la rivière sous nos yeux, nous finissons par le prendre avec nous, suscitant la colère d’un officier : « Au Japon, c’est un vol. » Christopher tenant le rôle de notre interprète ce jour-là répond avec beaucoup plus de calme à présent : « Nous comprenons tout à fait, mais il est en train de tomber.
— Dans ce cas-là vous viendrez demain au commissariat pour signer une décharge. » Ogawa s’en mêle à son tour et dit au pauvre consul déjà chahuté de toute part : « Ce sont vos ressortissants, vous vous devez de les protéger et de les aider. » Le consultant télé prend aussi à partie les policiers pour les inciter à faire leur travail.
Bilan : la police refuse toujours de changer d’approche (l’enquête est terminée faute de nouveaux indices).
Après le départ des représentants de l’ambassade, nous rejoignons Ogawa avec son équipe de télévision pour l’enregistrement de son émission. Le tournage a été très difficile. Aucun de nous n’est habitué à ce genre d’exercice, et puis devoir exprimer nos émotions devant une caméra est horrible. Difficile de garder le contrôle lorsque le producteur de l’émission vous demande : « Si Tiphaine peut vous entendre, quel message voudriez-vous lui faire passer ? » Sibylle fond en larme, la caméra se rapproche à dix centimètres de son visage pour ne rien manquer de ce moment. Mais peu importent la pudeur, l’amour-propre et les états d’âme, tous les moyens doivent être mis en œuvre pour retrouver Tiphaine, même se plier au sensationnalisme.
C’est face à la caméra que nous allons ouvrir pour la première fois sa valise, car bien évidemment l’équipe de tournage veut filmer ses cartes rédigées en japonais et les cadeaux qu’elle avait prévu d’offrir à ses hôtes durant son voyage. Là aussi nous nous exécutons sans trop nous poser de questions, mais en ravalant nos larmes devant le spectacle des petites affaires de Tiphaine, des objets typiquement japonais comme des sandales ou un yukata (un kimono d’été) qu’elle n’utilise jamais en France, mais qui pour se rapprocher de la culture ici sont importants à ses yeux. Avec du recul, je me dis aussi que nous avons peut-être « souillé la scène de crime » en manipulant le contenu de sa valise. Akiko nous avait demandé s’il était normal que les affaires de Tiphaine soient en désordre, comme si quelqu’un les avait rangées à la va-vite. Aucune idée… Mais il est possible qu’en touchant ses affaires, nous ayons contaminé les traces ADN d’un potentiel agresseur…
La partie intéressante du tournage se situe au moment où Ogawa nous explique ce qu’il s’est passé selon lui et comment il faudrait agir sans perdre de temps. Forcément, ayant été enquêteur criminel dans l’une des préfectures les plus réputées du pays (celle de Tokyo), ses propos lui donnent du crédit. A contrario, la préfecture de Tochigi ne bénéficie pas d’une telle aura. L’ancien détective commence par s’intéresser au programme touristique de Tiphaine, il est admiratif de la manière dont son planning est organisé. Au vu du nombre important d’activités culturelles qu’elle voulait réaliser, pour lui c’est évident, elle n’est pas partie faire un trek en montagne. Il cherche ensuite à saisir sa personnalité. Est-elle suicidaire ou aurait-elle organisé sa fuite ? Non. Les petits cadeaux, ses messages, son programme, son chat… Pour lui non plus, cela ne fait aucun doute, il ne s’agit pas de cela. Quant à la chute dans la rivière, l’idée lui paraît saugrenue compte tenu de la configuration des lieux qu’il a pu apprécier de ses propres yeux. Pour lui, la réponse est sans détour : une noyade ? Non.
Le parking et la promenade le long des bouddhas sont fréquentés, des touristes y affluent par grappes, en voiture ou en taxi, de sorte que, si jamais quelqu’un tombe, il sera immédiatement remarqué. De plus, en cas de chute vous êtes emporté quelques mètres plus bas vers l’endroit le plus touristique de Nikko, le pont Shinkyo, et après cela se dresse un premier obstacle de taille : un barrage. Si la rivière était effectivement plus haute comme le prétend la police, il y a fort à parier que les promeneurs aient redoublé de prudence. Prudente, Tiphaine l’est, naturellement. Quand le niveau monte, l’eau est aussi plus agitée, de couleur marronnasse, ce qui ne donne pas très envie de s’approcher pour faire des photos.
En revanche, il a passé une partie de la journée à sillonner les environs et, dans le quartier, il trouve qu’il y a énormément d’impasses, de petits parkings reculés et peu de monde dans certaines zones. La piste du kidnapping est donc tout à fait plausible selon lui. À la tête de l’enquête, il commencerait par interroger tout le personnel de l’hôtel et tous les clients présents ce week-end-là, il ferait venir des chiens rapidement et vérifierait les caméras de circulation aux entrées et aux sorties de la ville et consulterait le N-System, un dispositif de suivi des véhicules au Japon, via un « lecteur automatique » des plaques d’immatriculation. « Je pense que Tiphaine est quelque part encore en vie, que la police doit agir vite et que la France doit vous aider. » Il repart en fin d’après-midi et nous prévient que son reportage sera diffusé le lendemain matin sur une grosse chaîne de télévision privée, TV Asahi. C’est ce programme qui va enclencher la roue médiatique au Japon. Une touriste française disparue en plein jour, une enquête présentée comme insuffisante : le retentissement est national. Dans son sillon la plupart des grands médias nationaux vont envoyer leurs journalistes à Nikko. Christopher jouant toujours les intermédiaires, fixant les rendez-vous, limitant la durée des interviews pour nous ménager et se méfiant de certains journalistes. Alertés, plusieurs correspondants de médias français finissent par suivre le mouvement. Cette émission va fortement bousculer la police de Nikko. « Mister Ogawa », comme je le surnomme, est considéré comme un transfuge par les policiers. L’ancien flic qui ose ouvertement pointer du doigt leur méthode, la pilule est difficile à avaler. Sur le parking déjà, leur amour-propre en avait pris un coup. Alors être discrédité ouvertement à la télévision est un affront terrible. Même si Ogawa dénonce des défaillances réelles, au Japon on ne critique pas l’ordre établi. Logique que la contre-attaque ne se fasse pas attendre, la police va convoquer la presse pour imposer sa version des faits. * Une fois seuls dans notre nouvelle chambre d’hôtel, nous examinons plus minutieusement la valise de Tiphaine avec mon frère et ma sœur. Son passeport est bien dans sa valise, elle ne semble pas avoir eu de problème pour recharger son téléphone, puisqu’elle a emporté avec elle câbles et adaptateurs de prise.
Dès le lendemain, nous comptons commencer nos propres recherches. La crainte qu’elle se soit perdue quelque part en forêt me prend aux tripes. Vers où Tiphaine a-t-elle bien pu aller ? Nous consultons ses notes pour commencer à établir des zones de recherche. Ses envies de visite sont classées par ville. À Nikko, elle souhaite découvrir les grands sanctuaires et des sites anciens, tous proches de son hôtel. Aucune randonnée au programme. Les seules excursions mentionnées sont la balade des bouddhas près de Kanmangafuchi Abyss, les chutes de Shiraito (ou Shiraito Falls – j’ai pris l’habitude d’employer les termes anglais ou japonais, plus simple pour échanger avec les locaux) et celles de Kegon. Elle a aussi écrit « lac Chuzenji » et l’hôtel lui a fourni une carte du quartier sur laquelle est noté au stylo un itinéraire de promenade passant notamment près d’un jardin botanique qui l’intéressait. Nous décidons qu’il est important de nous rendre dans chacun de ces lieux pour essayer de se mettre dans les pas de Tiphaine.
Le reste de la nuit est dédié à donner des nouvelles à nos proches, à répondre aux médias français qui viennent d’apprendre la disparition de Tiphaine et qui sont prêts à relayer l’avis de disparition créé en plusieurs langues par nos amis, Christopher et sa collègue Miyuki. l’association La Caravane « Bon appétit ». Pendant des années, il a apporté des repas aux sinistrés du tremblement de terre de mars 2011.
1. Installé dans l’Archipel depuis sa jeunesse, membre fondateur de l’Union des Français de l’étranger au Japon, il a été décoré de la Légion d’honneur pour avoir créé
5 Des médias japonais vite endormis
L’été est une période chaude et humide au Japon. Nous commençons chaque matin par entreprendre des recherches « sur le terrain », en quête d’un témoignage en ville ou d’indices à travers les forêts. Fréquemment épaulés par des locaux, des alpinistes ou encore des interprètes.
À 8 heures, ce lundi 6 août 2018, un Japonais parlant parfaitement français débarque à la gare de Nikko. Takuro est un ami de Josselin Rimbod, un Français vivant au Japon, fondateur d’un groupe privé sur Facebook, Le Vrai Japon1, un espace d’échanges anti-clichés. Sa connaissance du pays et de la langue, sa veille médiatique et ses conseils sont d’un grand soutien, tout comme sa mise en relation avec Takuro par le biais de notre « cellule » française. Appelé à la rescousse, celui-ci a donc pris le premier train pour nous venir en aide. Il restera avec nous quatre jours. Alors qu’il est guide et interprète professionnel, il refusera toute rémunération. Alors que, pendant plusieurs jours, il fouillera les bois et les abords de la rivière avec nous sur des kilomètres et des kilomètres, déchiffrera les pancartes à la demande, interrogera spontanément les habitants et collera des dizaines d’avis de recherche à travers la ville et près des lieux touristiques.
Coller des avis de disparition est une expérience extrêmement désagréable pour quiconque, mais plus encore pour un Japonais. Si nous avons ressenti son malaise au tout début, cela n’a pas duré. Et pourtant… Si nous avions dû faire les choses dans les règles de l’art, il aurait fallu demander l’autorisation à telle ou telle entreprise avant d’exposer les avis sur le moindre poteau électrique. Au bout de quelques heures, Takuro ne se posait même plus la question et scotche les affiches à tout-va, entièrement dévoué à la recherche de notre sœur.
C’est avec lui que nous nous rendons au commissariat, comme convenu la veille avec la police, pour signer l’attestation confirmant que nous avons bien pris possession du foulard. Dans le hall d’entrée du commissariat, toutes les têtes se tournent vers nous. Les regards sont interrogatifs, une secrétaire est fébrile, le reportage d’Ogawa vient d’être diffusé. L’inspecteur Watanabe vient à notre rencontre, nous emmène à l’écart dans une petite pièce au rez-de-chaussée et nous prévient du risque de parler aux médias. Ils sont dangereux, ils vont déformer vos propos, etc. Il nous explique qu’eux aussi sont sollicités à propos de l’affaire « Belon-san ».
En début d’après-midi, ça va être le défilé des minivans des journalistes venant de Tokyo, travaillant pour NHK, Fuji TV, TV Asahi, des agences de presse comme Kyodo News, le Asahi Shimbun, un quotidien célèbre, ou le Shimotsuke Shimbun, le journal local. Les Japonais ont été touchés par l’histoire de Tiphaine, d’abord parce qu’ils se sont rendu compte de l’amour qu’elle porte à leur pays grâce aux petits cadeaux préparés avec soin. Le lien d’amitié entre nos deux pays a également favorisé un certain intérêt pour cette mystérieuse disparition. Beaucoup de personnes nous expliqueront avoir éprouvé de la compassion pour notre famille venue chercher Tiphaine à des milliers de kilomètres de chez nous. Et une Occidentale qui disparaît au Japon, dans un site ultra-touristique, est un fait assez rare pour susciter un certain émoi.
Il était impensable de ne pas répondre aux nombreuses demandes d’interviews, puisque nous avions justement accepté de lancer la médiatisation pour contraindre la police à agir. Cependant, difficile d’imaginer que cela allait entraîner une telle réaction en chaîne. Les journalistes veulent découvrir où Tiphaine a été vue pour la dernière fois. Une nuée de caméras s’agglutinent au Turtle Inn pour tenter d’interviewer l’hôtelier (qui refuse catégoriquement) avant de se diriger vers le site des bouddhas.
Je me souviendrai toute ma vie de la scène qui va suivre.
Nous sommes en train de répondre aux questions des journalistes lors d’une conférence de presse improvisée, lorsque nous voyons « débarquer » deux équipes de police. Une première avec à sa tête le responsable des opérations de Tochigi, revenu en catastrophe d’Utsunomiya, nous révélera plus tard Akiko. Kikawa file à grandes enjambées, une mallette imposante à la main, vers l’endroit où le foulard a été découvert. La deuxième équipe se gare plus loin, des hommes habillés en tenue de plongeurs descendent vers la rivière et commencent à scruter le fond à l’aide d’un miroir marin. L’eau leur arrive aux mollets environ. Au-dessus, difficile de résister à la force du courant, la chute est assurée. Je regarde Sibylle et Stanislas surpris : pourquoi cherchent-ils à l’endroit où il n’y a aucun dépôt ? Et pourquoi Kikawa se met-il soudain à s’agiter devant les journalistes ? La réponse est aussi simple que cynique : pour figurer dans le champ des caméras. Idem pour les plongeurs – l’enjeu n’est pas de chercher, mais de pouvoir être filmé en train de faire quelque chose. La vue du pont où sont postées les caméras est imprenable sur les hommes-grenouilles. D’ailleurs, les policiers arrêteront leurs « recherches » aussitôt les équipes parties.
Édifiant ! La mascarade fonctionnera très bien. Nos témoignages seront relayés dans tous les sujets du soir et du lendemain, mais également les images des policiers s’agitant en tous sens avec zèle, laissant penser qu’ils mènent des investigations sérieuses et même intensifient leurs recherches. Ogawa, l’exception. La pression médiatique ne portera pas ses fruits. Et nos critiques (même légères) seront d’autant plus mal perçues par l’opinion publique.
Pendant ce temps-là, l’hôtelier a eu le feu vert de ses clients allemands, Petra et Rudiger W. Il nous transmet les coordonnées du mari. Stanislas qui parle parfaitement anglais l’appelle immédiatement.
« Non », la police ne les a pas contactés. Tiphaine a disparu depuis neuf jours. Neuf jours ! Il est l’un des derniers témoins à lui avoir parlé et c’est au cours de cet appel téléphonique qu’il partage pour la première fois ses souvenirs. Nous découvrons que c’est surtout sa femme Petra qui a discuté avec Tiphaine. Notre sœur lui aurait confié son envie de visiter les musées et d’aller voir l’alignement de bouddhas. Lui précisant : « Je n’irai probablement pas visiter le sanctuaire aujourd’hui. » Rudiger se souvient que Tiphaine ne portait pas de couleurs voyantes, « rien d’accrocheur ». D’après lui, elle avait des chaussures claires avec des lacets. Entres autres informations utiles, surprise :
ENCOURAGÉE PAR LA JUSTICE FRANÇAISE, LA FAMILLE RECRUTE L'ÉQUIPE DE SPÉCIALISTES MOUNTAIN MEDIC EVENTS POUR FOUILLER DES ZONES STRATÉGIQUES DES RIVIÈRES DAIYA ET KINU.
Rudiger nous dit que deux hommes français ont aussi parlé avec Tiphaine au petit déjeuner.
Peu de temps après, nous recevons un autre témoignage. Celui d’Annie et de Christophe H. Ils ont écrit à l’adresse missing.tiphaineveron@gmail.com, créée par nos proches et inscrite sur les avis de recherche relayés sur les réseaux sociaux.
Bonjour, Nous avons vu dans Facebook Francophones de Tokyo la disparition de cette jeune fille. Nous étions à Nikko le 28 juillet et nous avons discuté avec cette jeune fille pendant au moins une heure. Nous étions dans un Lawson 2-32 Honcho, Nikko-shi, Tochigi-ken 321-1434, il était environ 20 heures. Il pleuvait énormément et nous lui avons proposé de la raccompagner à son auberge de jeunesse qui se situait selon ses dires entre le Lawson et le parking Kanman Park, là où nous avons dormi dans notre van. Elle a refusé. Elle nous a dit qu’elle était de Poitiers. Nous avons surtout parlé du Japon. Nous ne sommes plus au Japon, mais avons poursuivi notre voyage en Indonésie. Nous ne serons en France que fin août. Nous espérons de tout cœur que cette jeune fille soit retrouvée au plus vite. Annie et Christophe
Sibylle les appelle pour avoir davantage de détails sur leur rencontre. Tiphaine s’est rendue au Konbini Lawson de son quartier vers 20 heures, elle a discuté pendant une heure avec cette femme et son conjoint, tous deux français, originaires de la région nantaise, présents à Nikko pour un mariage. Tiphaine est allée spontanément vers eux. Ce qui ne nous étonne pas : malgré sa timidité, elle peut être très sociable quand elle se sent en confiance. Ils ont parlé ensemble, notamment de ses envies de visite – les temples, les Bake Jizo et un cimetière ancien à proximité, un site en surplomb et un peu moins connu, réputé pour ses tombes rares aux formes arrondies, puisqu’il s’agirait de moines enterrés là. Tiphaine dit qu’elle a très envie d’y aller, c’est juste à côté de son hôtel. Elle dit aussi qu’après Nikko, elle se rend plus au nord du Japon pour fuir « le monde et la chaleur ».
Puis un autre mail arrive, celui de Laurent B. C’est justement un des deux clients français à avoir parlé à Tiphaine le dimanche matin avant sa disparition.
Bonjour, Je viens de lire dans la presse que Tiphaine Véron avait disparu. Je crois avoir reconnu son visage sur la photo. Nous avons logé dans le même hôtel qu’elle, l’hôtel Turtle Inn de Nikko du 28 au 30 juillet 2018. Le matin du 29 juillet, nous avons pris notre petit déjeuner en même temps qu’elle (8 h 30). Nous avons échangé quelques mots et elle nous a dit vouloir visiter les temples de Nikko ainsi que le lac Chuzenji dans la journée. Elle disait craindre la chaleur et vouloir aller dans le nord du Japon pour éviter la canicule après son étape à Nikko. Elle nous a semblé en bonne santé. Nous ne l’avons pas croisée à nouveau par la suite. Je ne sais pas si ces informations seront utiles, mais j’espère vraiment qu’elle sera retrouvée saine et sauve. Si vous avez besoin de me joindre voici mon numéro français… Très cordialement.
Au téléphone, Laurent donne lui aussi des détails sur son emploi du temps. Il est aux alentours de 9 heures quand ils discutent ensemble. Elle semble indécise sur son programme, tributaire de la météo. Les temples, les bouddhas reviennent encore. Mais si le temps reste ensoleillé, pourquoi ne pas aller jusqu’au lac Chuzenji ? OK. Entre les Allemands et les touristes français, nous sommes en mesure de mieux cibler des zones à explorer en priorité.
À propos de sa tenue, ils se souviennent d’un haut clair et des petites chaussures fermées. Laurent s’est fait cette réflexion : « Je me suis dit ce sont quand même des chaussures pour marcher. » Aucune paire de ce genre n’est dans sa valise. À ce stade, je peux au moins conclure que ma sœur a mis des chaussures en toile, blanc-rose à motifs. Je pense à un modèle précis de tennis que ma mère et moi l’avons souvent vue porter et la paire n’est pas chez elle, ma mère a vérifié. Un détail qui peut s’avérer important si nous tombons sur une chaussure, dans la forêt par exemple.
Laurent et son ami ont regagné leur chambre et n’ont pas recroisé Tiphaine ensuite. La météo étant clémente (journée chaude et humide, ponctuée par une averse ou deux), ils ont fait une longue promenade dans les environs, une boucle recommandée par l’hôtel aux clients à leur arrivée, qui part de l’abysse de Kanmangafuchi, traverse une zone résidentielle, passe près de la villa de l’empereur et du jardin botanique de Nikko.
Sans savoir si cette information est intéressante, ce Français nous raconte un fait qui nous glace le sang. Vers 17 heures, une forte déflagration a retenti ce jour-là. Comme un coup de feu qui a résonné dans la forêt avoisinant les bouddhas. Sans savoir exactement identifier ce bruit qui leur a paru très anormal, ils ont eu peur et ont alors décidé de rentrer rapidement de leur excursion. Décidément, eux non plus n’ont pas été contactés par la police.
Nous transmettons évidemment immédiatement les coordonnées de tous ces témoins à la police, par l’intermédiaire de leur interprète Akiko. Nous sommes toujours complètement paniqués. Pourquoi la police refuse-t-elle d’interroger des témoins, alors même qu’ils ont exclu l’hypothèse du suicide et de la disparition volontaire et ont conclu à une disparition inquiétante ?
Notre mère et nos proches sont au courant du refus de la police de Nikko à vouloir enquêter. Pour notre oncle Laurent Désert, cela ne fait aucun doute : il faut écrire au président de la République.
Ce qu'en pensent les lecteurs de Babelio
La Police japonaise est soit incompétente, soit corrompue. Quelquefois les deux en même temps, le même jour, sur la même affaire... La famille Véron se cogne à beaucoup de désillusions tout au long de la recherche de Tiphaine. pourquoi n'interroge-t-on pas les témoins ? Pourquoi n'y a t-il pas de suite à la preuve du luminol ? Pourquoi la juge d'instruction n'est elle pas convaincue ? On est sidéré par la logique des autorités qui frise l'absurde. On se sent impuissant mais on fait le pari de l'intelligence et de la vérité qui doivent triompher.
J'avais hâte de me plonger dans ce livre, connaissant un peu cette histoire notamment via Victoria Charlton. Et si j'ai globalement apprécié ma lecture j'ai trouvé que ce témoignage était beaucoup trop long. Beaucoup trop de détails et de répétitions ont quelque peu entaché ma lecture. Néanmoins comment ne pas ressortir énervée de ce récit où la justice japonaise est quasi inexistante et où la police Française baisse assez vite les bras. J'ai trouvé cette famille et notamment Damien très fort pour avoir subi toutes ses épreuves. Et j'espère qu'un jour nous saurons le fin mot, et retrouverons Tiohaine.
Tiphaine Véron disparaît lors d'un voyage au Japon en juillet 2018 à Nikko. La police japonaise conclu très rapidement à une chute accidentelle (ou un suicide) dans la rivière. Cette conclusion ne satisfait pas la famille qui pense qu'elle a pu être enlevée ou tuée. Cet ouvrage raconte les difficultés de la famille à faire ouvrir une enquête criminelle au Japon. En effet, les policiers considérant qu'il s'agissait d'un accident ou même d'un suicide n'ouvriront pas d'enquête criminelle. Comme il n'y a pas de meurtre pour la police locale, il n'y a pas d'interrogatoire des témoins. De plus, les pièces à conviction ne sont pas scellées comme en France.... L'exemple le plus marquant, est la valise de Tiphaine qui resté à l'hôtel alors qu'en France ce serait une pièce à conviction. Damien, Sybille, Stanislas et leur mère sont confrontés à un système policier et judiciaire très éloigné de celui de la France. Les codes sociaux entre Japonais et Français sont tellement différents que cela engendre des problèmes de communication entre la famille et les policiers. Les auteurs décrivent la société japonaise avec beaucoup de justesse et surtout sans jugement. Ainsi, on apprend dans cet ouvrage, que s'il y a peu de meurtres au Japon, c'est que les disparitions ne font pas systématiquement l'objet d'une enquête criminelle. La famille de Tiphaine va essayer de faire agir la justice française mais sans grand succès. Les rapports diplomatiques entre la France et le Japon sont au cœur de l'affaire. Le fait que la disparition ait eu lieu aussi loin, ne facilite pas les rapports entre les deux polices. C'est également une charge financière pour la famille car le prix des billets d'avion pour aller au Japon sont élevés. Les Véron se sont montrés persévérants. Ils ont changé d'avocat faisant appel à Antoine Vey, un avocat plus médiatisée que le précédent. Ils ont même recruté un détective privé : Jean-François Abgrall qui avait résolu l'affaire Francis Heaulme. La mère de Tiphaine a également écrit une lettre à Fanny Ardant afin d'organiser une opération de communication sur la disparation de Tiphaine. Aujourd'hui, la justice française estime que tout le nécessaire a été fait . Elle a décidé de clore le dossier, mais la famille de Tiphaine ne va pas s'arrêter ici. J'ai été très touchée par la combativité et la persévérance des proches de Tiphaine. J'avais aussi très envie de lire ce livre, suite au passage de Damien et Sibylle dans l'émission C'est à vous. Merci à Babelio et aux éditions Robert Laffont.
Damien et Sybille Véron sont le frère et la soeur de Tiphaine, disparue lors d'un séjour au Japon en juillet 2018. Si au départ, ils ont des nouvelles régulièrement, le dimanche 29 juillet, plus de nouvelles, rien. Damien va recevoir un message via Facebook qui lui demande de rappeler de toute urgence la police locale de la dernière ville visitée par Tiphaine. C'est donc à Nikko que l'on perd sa trace. La fratrie va tout de suite partir pour le Japon afin de retrouver Tiphaine et l'enfer va commencer pour eux. Entre différence culturelle et l'incompréhension entre eux et la police rien ne va aller. Pour la police c'est un accident, il y a eu de fortes pluies et Tiphaine est tombée dans la rivière. Mais sa géolocalisation et le témoignage de l'hôtelier ont des incohérences. La police japonaise va refuser l'aide de la police française. Ils ont un honneur à respecter et ils n'en feront qu'à leur tête. J'ai été en colère en lisant comment l'enquête a été bâclée par la police et je suis admirative envers Damien, son frère et sa soeur d'avoir su garder leur sang-froid comme ils l'ont fait face au manquement de l'enquête. Je ne suis pas sûre que j'aurais pu garder mon calme. Je comprends leur colère, leur agacement et la ténacité à laquelle ils continuent leur combat pour connaître ce qui est arrivé à leur soeur. Il est difficile de chroniquer un témoignage, mais je vous conseille vraiment de le découvrir et d'apprendre à connaître l'histoire de Tiphaine et essayer de comprendre ce qui a pu lui arriver pendant son séjour. J'espère vraiment que sa famille va trouver de nouvelles pistes et enfin connaître la vérité car il n'y a rien de pire que de ne rien savoir et d'imaginer le pire. En achetant ce livre vous faites également une bonne action car les recettes du livre contribueront à continuer les recherches et aide la famille de Tiphaine.
Nous sommes à 24 jours de l’anniversaire de la disparition de Tiphaine . Ca va faire 4 ans , quatre longues années où le Japon s’obstine sur la piste accidentelle ou piste du suicide .Quatre longues années où sa famille se bat pour découvrir la vérité , faire éclater cette vérité qui est la piste criminelle et la faire admettre au Japon . Quatre longues années pour obtenir des fouilles qui se font pour montrer la gloire et la force de la police japonaise . Alors autant dire que rien n’est fait . C’est un combat de tous les jours. Après la lecture du livre écrit par son frère et sa sœur , je ne le souhaite à personne … Ce qu’ils vivent… La force qu’ils ont !!! Serions nous capable d’en faire autant ? Au moment de ma lecture , ils sont passés sur le journal de 20h sur TF1 . Le combat est toujours là après 4 ans, la force , le moral . Tout est bon pour ne pas oublier Tiphaine. Médias Gouvernement associations avocats déplacements au Japon à plusieurs reprise et le temps qu’il sera nécessaire pour retrouver leur sœur . Mais quelle force et quel courage !!!! Je vous le demande chers lecteurs , achetez le livre pour ne pas oublier Tiphaine pour que la famille retrouve leur sœur leur fille leur nièce …. aidons les , à notre façon ! C’est pas grand chose , nous petits joueurs de la société mais c’est déjà ça ! Force à eux !!
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