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ESPACE LITTERAIRE : HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE MONDIALE

ESPACE LITTERAIRE : HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE MONDIALE


Jean-Marc Daniel

ÉCONOMIE / Economiste et professeur d'économie à l'ESCP


Diplômé de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), Jean-Marc Daniel est un économiste de renom. Professeur émérite à l’École de commerce (ESCP) et chargé de cours pour les ingénieurs du Corps des mines, il est également directeur de la revue Sociétal. Figure respectée de l’économie française, il insiste sur la mondialisation, la dette publique et l’économie en elle-même lors de ses interventions. source Simone et Nelson


Jean-Marc Daniel intervient régulièrement pour des conférences ou des séminaires d’entreprise. Il peut intervenir sur de nombreux thèmes pour votre entreprise comme :


 

RÉSUMÉ


Raconter et décrypter l'histoire économique du monde, des origines à nos jours, des chasseurs-cueilleurs aux cybertravailleurs, tel est le pari de cette œuvre majeure proposée par l'économiste Jean-Marc Daniel. En analysant l'évolution des théories et des politiques économiques mondiales, Jean-Marc Daniel bat en brèche bien des idées reçues. Loin d'opposer travail et capital, il s'attaque aux conséquences néfastes des actions prédatrices des « oisifs », les bureaucrates et les technocrates qui agissent au détriment de la valeur créée par les « productifs », les ouvriers, les agriculteurs, les entrepreneurs et les innovateurs. Depuis l'origine des civilisations jusqu'aux premières décennies du XXIe siècle, de la Chine à l'Europe, en passant par l'Afrique et l'Amérique, de Tibère à Xi Jinping et Joe Biden, Jean-Marc Daniel dresse le panorama complet, synthétique et passionnant d'une économie, qui, de crises en crises, sait engendrer de nouveaux modèles.Ancien élève de l'école polytechnique, de l'ENSAE et de Sciences Po, Jean-Marc Daniel est professeur d'économie à l'ESCP Europe et chroniqueur sur la matinale de BFM. Il est notamment l'auteur d'une Histoire vivante de la pensée économique(2010) et des 8 leçons d'histoire économique(2012).

 

feuilleter


Jean-Marc Daniel

HISTOIRE DE L’ÉCONOMIE MONDIALE

Des chasseurs-cueilleurs aux cybertravailleurs

 

Introduction


L’histoire économique est riche de phénomènes rarement attendus. Des crises surviennent, qui nous paraissent toujours sans précédent, qu’il s’agisse de la crise sanitaire qui a commencé en 2020, financière de 2008-2009, entre autres. La mondialisation des économies, l’impact croissant des nouvelles technologies, deux caractéristiques prépondérantes de l’époque actuelle, pourraient laisser croire que l’analyse du passé est illusoire. Nous ne le pensons pas. Bien au contraire. L’évolution de l’économie mondiale, depuis ses origines, peut être une source d’inspiration pour affronter les problèmes actuels. D’autant que les crises ont toujours été l’occasion de repenser les politiques menées et les institutions. L’Europe économique et politique s’est créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La Banque de France est née au lendemain du coup d’État de Napoléon Bonaparte, le 18 Brumaire (9 novembre 1799). Analyser ces transformations historiques peut mieux nous armer face aux enjeux de l’avenir. L’économie s’adapte sans cesse. Mais son histoire reste marquée inexorablement, quelles que soient les circonstances et quel que soit le lieu, par l’affrontement entre le monde du travail et de la création de richesses, d’une part, et le monde de la prédation bureaucratique de cette richesse, d’autre part Voltaire (1694-1778) en avait fait le constat. Dans son conte L’Homme aux quarante écus1 publié en 1768, il stigmatise les prédateurs de l’époque, à savoir les religieux, qu’il accuse de parasitisme :


Pourquoi le monarchisme a-t-il prévalu ? interroge cet écrivain-philosophe. Parce que le gouvernement fut presque partout détestable et absurde depuis Constantin ; parce que l’Empire romain eut plus de moines que de soldats ; parce que les chefs des nations barbares qui détruisirent l’empire, s’étant faits chrétiens pour gouverner des chrétiens, exercèrent la plus horrible tyrannie ; parce qu’on se jetait en foule dans les cloîtres pour échapper aux fureurs de ces tyrans, et qu’on se plongeait dans un esclavage pour en éviter un autre ; parce que les papes, en instituant tant d’ordres différents de fainéants sacrés, se firent autant de sujets dans les autres États ; parce qu’un paysan aime mieux être appelé mon révérend père, et donner des bénédictions, que de conduire la charrue ; parce qu’il ne sait pas que la charrue est plus noble que le froc ; parce qu’il aime mieux vivre aux dépens des sots que par un travail honnête ; enfin parce qu’il ne sait pas qu’en se faisant moine il se prépare des jours malheureux, tissus d’ennui et de repentir


Pour Voltaire, l’Église que symbolise le froc ignore la charrue et le travail pour vivre d’une rente, c’est-à-dire de la possibilité institutionnelle d’obtenir un revenu supérieur à sa contribution à la création de richesses. Qui plus est, toujours pour le philosophe, cette rente repose sur une imposture dans la mesure où elle exploite la sottise

 

1. On retrouve ce texte dans la plupart des recueils des contes de Voltaire. Signalons parmi ces derniers Romans et contes (Paris, « Le Livre de poche », 1994) qui regroupe, outre L’Homme aux 40 écus, Candide, Micromégas, Zadig ou encore L’Ingénu. HISTOIRE DE L’ÉCONOMIE MONDIAL

 

Si la légitimité économique de Voltaire peut paraître contestable, son analyse est pourtant pertinente, comme le montre Adolphe Blanqui (1798-1854). Cet ami et disciple du grand économiste Jean-Baptiste Say (1767-1832) publie en 1837 une Histoire de l’économie politique depuis les Anciens jusqu’à nos jours2 . Le texte n’est pas une histoire des idées économiques mais une histoire des événements économiques. Dans son introduction, il écrit :


Dans toutes révolutions, il n’y a jamais eu que deux partis en présence : celui des gens qui veulent vivre de leur travail ; celui des gens qui veulent vivre du travail d’autrui. On ne se dispute le pouvoir et les honneurs que pour se reposer dans cette région de béatitude.


S’inscrivant dans la lignée de l’œuvre de Blanqui et se voulant le modeste héritier de Voltaire, ce livre raconte la permanence du combat entre le froc et la charrue, entre ceux qui veulent vivre de leur travail et ceux qui veulent vivre du travail d’autrui, entre le travail et sa prédation bureaucratique.


Nous analysons ici les endroits et les époques qui ont marqué les esprits et joué un rôle significatif dans l’histoire économique afin de vérifier cette permanence dans l’enchaînement des événements. Là encore, c’est Voltaire qui nous inspire. En effet, dans la préface du Siècle de Louis XIV 3 , il indique qu’écrire l’histoire ne peut répondre à l’exigence d’exhaustivité. Tous les lieux et toutes les périodes n’ont pas les mêmes conséquences sur le destin long de l’humanité. Pour lui, quatre lieux et quatre époques dominent l’histoire de l’Europe. Il s’agit d’Athènes au temps de Périclès, de Rome au temps d’Auguste, de Florence au temps des Médicis et de Paris sous Louis XIV. Appliquer trop strictement ce principe à l’histoire économique pourrait nous conduire à ne nous intéresser qu’à Londres sous la reine Victoria. En effet, cette époque fut marquante par le décollage économique de l’Europe, décollage plus particulièrement incarné par le Royaume-Uni

 

2. On trouve ce texte sur le site Gallica de la BNF. 3. Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, Paris, Gallimard, « Folio », 2015.

 

Révoltes fiscales et « grande évasion »

L’époque de la reine Victoria fut, à certains égards, si notable que bien qu’elle ait été exceptionnelle, on en a souvent tiré des conclusions définitives et erronées. Par exemple, tout le monde se souvient des débuts du Manifeste du parti communiste de Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895). La première phrase du chapitre Ier est célébrissime : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes. » Pour arriver à cette assertion qui a inspiré bien des analyses théoriques et des programmes politiques, Marx et Engels se sont contentés de généraliser les idées de Blanqui – dont ils furent les lecteurs – à la réalité anglaise des années 1840 dont ils furent les témoins, une réalité qui était unique en son genre. En effet, hors le xixe siècle et le début du xxe siècle, l’histoire des sociétés n’a pas été celle des luttes sociales, mais plutôt celle des luttes fiscales. Jusqu’au milieu du xviiie siècle, la vie économique est caractérisée par le manque et la pénurie. Partout dans le monde, les disettes, voire les famines, ne cessent de se répéter. Chaque fois que l’humanité pense pouvoir mieux se nourrir et mieux vivre, les naissances se multiplient et l’accroissement du nombre de bouches à nourrir provoque le manque. L’économiste anglais Angus Deaton, qui a reçu le prix Nobel d’économie en 2015, parle, pour caractériser l’économie jusqu’à la fin du xviiie siècle, de « piège nutritionnel » : alors que l’on pourrait penser que l’augmentation de la population, accroissant le stock de main-d’œuvre disponible et donc la quantité potentielle de travail, devrait favoriser la production, cette augmentation de la population s’est souvent traduite en réalité dans l’histoire par un manque de nourriture. Une de ses conséquences indirectes est d’affaiblir physiquement les individus et donc, en particulier, de réduire leur capacité de travail. Une des autres conséquences est que les producteurs cherchent le plus possible à garder pour eux le fruit de leur travail et à contenir les prélèvements effectués par les aristocraties et les clergés. La différence entre l’avant et l’après-xviiie siècle est qu’à partir de 1760, les techniques agricoles s’améliorent. À partir de ce qui sera appelé par la suite la « révolution industrielle », expression inventée par Adolphe Blanqui et qui est aussi, et peut-être avant tout, une révolution agricole, chaque homme nouveau cesse d’être une bouche supplémentaire à nourrir que la nature condamne à la souffrance pour devenir soit une tête capable de mieux comprendre cette nature, et donc de la maîtriser, soit des mains habiles capables, par leur travail, d’en tirer davantage de ressources. C’est à cette époque que la vie sur Terre cesse d’être un temps d’attente avant l’accès à un monde meilleur pour être perçue comme une fin en soi que l’on peut améliorer sur le plan matériel. Ainsi, des débuts de notre ère à 1700, la croissance de la production mondiale par habitant est nulle. De 1700 à 1820, elle est de 0,1 % par an. Puis l’économie décolle avec une croissance moyenne annuelle de 0,9 % entre 1820 et 1912, et de 1,6 % entre 1913 et 20124 . Angus Deaton appelle cette mutation du destin de l’humanité, initiée dans les années 1760 du côté de Manchester en Angleterre avant de se répandre en deux siècles et demi sur toute la surface de la planète, la « grande évasion » (great escape en anglais – il s’agit du titre du livre qui a fait sa renommée)5 . Pour lui, l’Angleterre du xixe siècle a été le premier lieu où l’humanité a eu la conviction qu’il était possible d’apporter une réponse crédible et faite d’espoir aux trois problèmes qu’affronte l’humanité : la mort, la souffrance liée à la maladie et l’inquiétude liée à la pauvreté et à la précarité. Ce décollage économique, cette « grande évasion », a correspondu à la capacité nouvelle de l’humanité, et singulièrement de l’Europe, de mettre en œuvre le progrès technique. L’économiste anglais Angus Maddison (1926-2010)6 a reconstitué les comptes des principales économies depuis la naissance du Christ. En 1992, dans un article bilan7 résumant ses recherches, il écrit : « Le progrès technique est le moteur essentiel de la croissance économique. S’il n’avait jamais existé, l’ensemble du processus d’accumulation du capital aurait été plus modeste. » Ce progrès technique est la composante essentielle de ce que les économistes ainsi que le grand public appellent plus généralement l’« innovation8 ».



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