ESPACE LITTERAIRE : Une vie incendiée...
Une vie incendiée d'Emmanuelle Seigner, un très beau livre dont Emmanuelle Seigner expose avec pudeur. D'une sagesse d'écriture, l'écrivaine tente avec humiliation de décrire des situations dont personnes n'est à l'abris.
Dès que je rentre, je me mets à écrire.
Une vie incendiée est le récit inédit, poignant et intime d'Emmanuelle Seigner. Une prise de parole qui fait la lumière sur une histoire hautement médiatisée, une affaire sensible, complexe, aux répercussions dévastatrices pour de nombreuses personnes, à commencer par elle-même.
RÉSUMÉ
« Dès que je rentre, je me mets à écrire. La dernière chose que je pensais faire dans ma vie était d'écrire un livre. Mais j'ai eu besoin de raconter cette histoire folle. L'histoire de ma famille, une famille heureuse et aimante dont la vie a basculé. J'ose espérer que le récit de ces événements permettra de mieux les comprendre. Je suis la femme de Roman Polanski. Il est, selon qui vous êtes, l'incarnation d'une génération, un survivant, un mythe, un génie, un salaud. À une époque où l'on préfère ce qui est vraisemblable à ce qui est vrai, j'ai voulu allumer un contre-feu. » Une vie incendiée est le récit inédit, poignant et intime d'Emmanuelle Seigner. Une prise de parole qui fait la lumière sur une histoire hautement médiatisée, une affaire sensible, complexe, aux répercussions dévastatrices pour de nombreuses personnes, à commencer par elle-même. L'actrice prend courageusement la parole pour la première fois et livre enfin sa vérité.
Dès que je rentre, je me mets à écrire. Je suis artiste interprète et la dernière chose que je pensais faire dans ma vie était d’écrire un livre.
EXTRAIT
À mon père.
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Je viens de marcher dans la montagne, une heure ou deux. J’ai besoin de marcher. J’arrive sur la petite place du village, elle est déserte. Pas âme qui vive. Le jour se lève. Étrange atmosphère du confinement.
Dès que je rentre, je me mets à écrire. Je suis artiste interprète et la dernière chose que je pensais faire dans ma vie était d’écrire un livre. Mais j’ai eu besoin de raconter cette histoire folle. L’histoire de ma famille, une famille heureuse et aimante dont la vie a basculé en 2009 dans une affaire vieille de plus de quarante ans.
Je suis la femme de Roman Polanski. Pour beaucoup, Roman Polanski est devenu l’incarnation d’une époque, un symbole, un révélateur. Il est, et c’est selon qui vous êtes, un mythe, un monstre, un survivant, un génie, un salaud.
Ce n’est pas cela dont je veux parler, mais de moi, de nous, de ma famille, de ce que nous avons ressenti. Les affaires judiciaires sont des ogres qui dévorent tout sur leur passage. Il me faut raconter ces dix mois cauchemardesques qui ont suivi l’arrestation de Roman en Suisse, déclenchée par la demande d’extradition abusive d’un procureur américain. Cette histoire, bien malgré nous, est devenue la nôtre, la mienne. Que faire quand on voit que la vérité est déformée à chaque instant ?
J’ai gardé le silence trop longtemps. Puis j’ai reconstitué avec patience le puzzle de cette affaire, pas comme un juge ou un avocat, mais comme un témoin principal.
Jamais je n’oublierai le 26 septembre 2009. Je passe ce samedi à Montrouge, en studio pour répéter avec mes musiciens.
Notre vie a été incendiée. Le feu a tout détruit. Mais le temps passe. Et peu à peu, j’en suis sûre, la nature reprendra ses droits.
Aujourd’hui le livre est terminé, je dois en parler à ma famille, à Roman, à mes enfants. Expliquer pourquoi il est important qu’il reste quelque chose de cette histoire. Pour nous, mais aussi pour la postérité. Je ne tiens pas à raconter ma vie, juste ce qui s’est passé, au nom des faits.
C’est enfin le point de vue d’une femme que je veux donner, car moi aussi j’ai été condamnée, au seul motif d’être l’épouse de.
Alors j’ose espérer que ce récit des événements, précis, articulé, permettra de mieux les comprendre. À une époque où la vérité est souvent sacrifiée, où l’on préfère ce qui est vraisemblable à ce qui est vrai, j’ai voulu allumer un contre-feu.
C’est alors que Roman me téléphone enfin. Il est 22 heures. Ma vie va basculer, dans l’ombre de la sienne, et je ne le sais pas encore.
Jamais je n’oublierai le 26 septembre 2009. Je passe ce samedi à Montrouge, en studio pour répéter avec mes musiciens. Mon second album va sortir. La séance terminée, j’appelle Roman depuis ma voiture. Cela fait quatre fois que j’essaie de le joindre. Étrange, ce silence. Aucune raison de m’inquiéter, mais d’habitude il me téléphone souvent. Est-ce qu’alors je chantonne l’un de mes nouveaux morceaux ? « Alone, alone à Barcelone, je ne suis pas une madone, le bon Dieu me pardonne, dis, combien tu me donnes ? » Une fois à la maison, j’embarque mon fils, Elvis, onze ans, et je l’emmène dîner au restaurant, près de chez moi. On expédie le repas, ma fille, Morgane, seize ans, attend à la maison.
Puis, les minutes s’écoulent, soudain pesantes. Je reste sans nouvelles, mon portable à la main. Les enfants se replient dans leur chambre. Mon fils s’endort.
C’est alors que Roman me téléphone enfin. Il est 22 heures. Ma vie va basculer, dans l’ombre de la sienne, et je ne le sais pas encore. Ai-je assez savouré l’émerveillement de former avec ces trois-là une famille normale ? Mais c’est trop tard. Roman émet un petit rire nerveux. Ses mots cognent mes oreilles, mon cerveau, mon cœur : « Ils m’ont arrêté, c’est dingue ! Ils m’ont arrêté à la descente de l’avion. »
Un brouillard m’envahit. Comment est-ce possible ? Qui lui fait ça ? la Suisse, ce pays qu’il adore, où nous passons nos vacances depuis toujours ? Ce matin, Roman est parti tout content. Le Festival du film de Zurich devait lui décerner un prix d’honneur pour l’ensemble de son œuvre. « Nous espérons vous divertir et faire en sorte que votre séjour soit palpitant et exaltant », avaient écrit les organisateurs. Il était invité d’honneur. C’est ça, « invité ». Pas arrêté. Pourquoi « arrêté » ? Je ne peux pas y croire.
Pas le temps de réfléchir. Roman me demande de joindre son avocat américain Doug Dalton : « Il t’expliquera. » Vite, il me dicte le numéro de téléphone, puis me raccroche au nez. Je comprends qu’il n’est pas seul. La police est là. On ne le laisse pas s’éterniser. Je l’imagine menotté, assis sur une chaise en fer sous les regards lourds des hommes qui l’entourent. Je reste sidérée. Est-ce que c’est une blague ?
En quelques mots secs et précis, Doug Dalton m’expose la situation. Il me raconte qu’un avocat suisse a été dépêché auprès de Roman par les organisateurs du Festival de Zurich. « On va tout faire pour le sortir de là. » Un mandat d’arrêt international a été lancé. Polanski, matricule B88742Z, est wanted. Et la justice suisse a décidé de l’arrêter. Comment ? Pourquoi ? Dalton parle vite, les mots se bousculent, j’ai du mal à saisir. Le procureur, le juge… Quoi, c’est encore cette vieille histoire de 1977 à Los Angeles ? Les photos pour Vogue, la plainte de la mère… Mais je croyais le dossier au grenier depuis longtemps !
On ne peut arrêter Roman pour ça, trente-deux ans après, c’est absurde. Il a reconnu sa faute, une « relation sexuelle illicite avec une mineure ». Et il a purgé sa peine. Quarante-deux jours d’emprisonnement abusif prononcé par un juge perverti par les médias. Il a dédommagé Samantha. Peut-être a-t-il eu tort de s’enfuir. Mais que faire quand les avocats affolés vous laissent entrevoir des décennies de prison parce qu’un juge a trahi sa parole et la loi américaine ?
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Je ne sais qu’une chose, l’homme que j’aime est arrêté, je trouve ça injuste, incompréhensible, et je panique. Je m’accroche à mon téléphone. L’avocat Hervé Temime, d’abord. C’est un ami. Il sait me faire rire. Mais ce soir, j’ai besoin qu’on m’explique. D’abord stupéfait, scandalisé, il évoque Wanted and Desired, le documentaire sorti un an plus tôt révélant un aspect des plus scandaleux de l’affaire, et la réaction agressive des avocats américains de Roman, qui ont relancé la procédure en croyant les arguments du film suffisamment percutants pour en finir avec ce dossier. Rien qui me rassure. Est-ce que les Suisses risquent d’extrader Roman dans les jours qui viennent, demain, dans la nuit ? Mais pourquoi l’ont-ils arrêté alors que ce pays est sa seconde patrie, que nous avons une maison là-bas ? Les autorités françaises ne peuvent pas laisser faire ça, accepter sans mot dire que nos voisins suisses extradent un ressortissant français, franco-polonais plus précisément. Il faut alerter le Quai d’Orsay, il est tard, je ne connais personne, et je m’affole. Je dois réagir, sauver Roman, essayer d’une manière ou d’une autre. J’ai parfois croisé Carla Bruni dans ma vie de mannequin. En passant par une amie, je me démène pour trouver son numéro de portable et je l’appelle à minuit. J’ai honte, mais tant pis. Elle me répond gentiment, je l’informe de la situation.
L’ambassadeur de France aux États-Unis me téléphone pour me dire qu’il est au courant de l’arrestation mais ne me rassure pas trop.
Puis je téléphone en larmes à mes parents, puis à ma plus jeune sœur : « Est-ce que tu peux venir ? » Marie Amélie comprend tout de suite que c’est grave et débarque illico. En l’entendant arriver, ma fille, qui est très perspicace, comprend qu’il se passe quelque chose. « Ton père a été arrêté pour cette histoire… » Elle est au courant. Un copain de classe a un jour insinué que son père avait violé quelqu’un. J’en ai parlé à Roman qui, en l’emmenant à l’école, lui a raconté ce qu’il s’était passé. Ce soir, choc énorme, c’est l’arrestation qui la bouleverse. Et elle pleure. Elle finit par s’endormir dans mon lit. Ma sœur rentre chez elle. Les heures passent, angoissantes, je ne dors pas de la nuit. L’ambassadeur de France aux États-Unis me téléphone pour me dire qu’il est au courant de l’arrestation mais ne me rassure pas trop. J’ai hâte que le jour se lève.
Vers 11 heures, le ministre des Affaires étrangères, puis le ministre de la Culture, appellent. « Parlez-en à vos enfants, conseille-t-il. Dans une heure, l’information est partout. » Mon fils avait connu la veille un gros chagrin. Il avait été contraint de renoncer au chat dont il rêvait en découvrant qu’il était allergique.
Vers 11 heures, le ministre des Affaires étrangères, puis le ministre de la Culture, appellent. « Parlez-en à vos enfants, conseille-t-il. Dans une heure, l’information est partout. » Mon fils avait connu la veille un gros chagrin. Il avait été contraint de renoncer au chat dont il rêvait en découvrant qu’il était allergique. Mais là, c’est mille fois plus grave. Je vais le voir, je le prends dans mes bras, je l’assieds à côté de moi. C’est compliqué, il n’a que onze ans. « Il s’est passé une chose, il y a très longtemps. Ton père a eu une relation avec une fille qui était trop jeune, ce n’était pas légal. Il y a eu un méchant juge… » Il me coupe : « Maman, je ne suis pas un bébé ! » Lui aussi est dévasté. Désormais, nous dormirons tous les trois dans la même chambre, Morgane avec moi, Elvis sur un matelas par terre. Mes parents prennent le relais auprès d’eux. Ils sont arrivés tôt, sens dessus dessous, ils adorent Roman. En week-end dans le sud de la France, Hervé Temime avait immédiatement décidé, dès mon appel samedi soir, de prendre un avion le matin pour Paris : « Je vais avec toi à Zurich. » Je réserve deux chambres dans un hôtel près du lac. À midi, ce dimanche 27 septembre, la nouvelle de l’arrestation de Polanski explose. Le téléphone ne cesse de sonner. Mes amis me plaignent, on me soutient, on s’indigne. À la télé, sur les ondes, sur les réseaux sociaux, j’entends des approximations, des âneries. Soudain, le mot « viol » est prononcé. Calomnie. Roman n’a pas été condamné pour viol, mais pour relation illicite avec une mineure. Les mots ont un sens. En bas, devant l’immeuble, les caméras fleurissent. À l’aéroport aussi, les paparazzis sont là, prêts à me traquer.
Je n’ai qu’une idée fixe : sortir Roman de ce piège insensé, vite, pas une seconde à perdre, on m’a dit qu’il risquait d’être extradé dans les quarante-huit heures. On atterrit, l’hôtel est très joli, c’est idiot d’y faire attention, je vois des signes partout. Lorenz Erni, l’avocat helvétique contacté par le Festival, nous attend. Cet homme que je ne connais pas déroule le dossier d’un ton concentré, avec cet accent suisse et une méticulosité qui soudain m’angoissent. J’espérais que Roman allait être relâché ce soir ou demain. Mais Me Erni explique que la procédure d’extradition est en allemand, elle sera écrite et jugée par un tribunal en Suisse. Il assène que la loi helvétique ne prévoit dans ce cadre précis aucune possibilité de remise en liberté. Pourquoi devrait-il être enfermé ? Je ne veux pas saisir, il y a un contresens quelque part. J’essaie de me dire que Roman s’est trompé d’avocat, ce type est dangereux. Prise de panique, j’ai l’impression d’avoir été jetée dans une essoreuse. Je me lève en vacillant, et je quitte la pièce. Je me répète en pleurant : « Est-ce que je vais me réveiller ? » Hervé Temime me rassure. Je ne dois pas m’affoler. On va faire ce qu’il faut. Lorenz Erni, en effet, se révélera un merveilleux avocat. Pour le moment, il annonce qu’il viendra nous chercher le lendemain. À 5 heures du matin, pour échapper aux médias. Le soir, pour me détendre, Hervé m’emmène marcher au bord du lac, puis nous dînons ensemble en essayant d’être optimistes.
Lundi 28 septembre, il fait gris, Lorenz est là, à l’heure dite. Je grelotte de froid, nous roulons en silence dans le brouillard. Le jour n’est pas encore levé. Hervé risque quelques plaisanteries, mais ça tombe à plat. Le voyage n’en finit pas, une heure d’une tristesse absolue.
J’ai juste une lettre de Morgane. Dans le taxi qui nous conduisait à Orly, elle m’a appelée pour me dire de ne pas la remettre à son père
J’appréhende de voir Roman, redoutant l’état dans lequel je vais le trouver. Je n’ai strictement rien apporté, ni livres ni vêtements, tant j’étais convaincue que les Suisses ne pouvaient que le libérer. J’ai juste une lettre de Morgane. Dans le taxi qui nous conduisait à Orly, elle m’a appelée pour me dire de ne pas la remettre à son père : « Ça va lui faire plus de mal que de bien. » Temime s’est interposé : « Dis-lui qu’il faut quand même la donner ! Pourquoi elle ne veut plus ? » Morgane a répondu : « Ouvre la lettre et demande à Hervé de la lire, laisse-le décider. » Il la lui donnera.
C’est un centre administratif, un bâtiment moderne en pleine campagne. Lorenz Erni nous prie de l’attendre dans la voiture le temps de régler les formalités. Les minutes passent, ça n’en finit pas. Je frissonne en ne cessant de me demander si tout cela est bien réel. Enfin, il vient nous chercher. Roman se tient dans une petite pièce nue, avec un lit à une place, une table ronde, trois chaises, et des gardes en uniforme derrière la porte. Il me paraît un peu euphorique, une euphorie étrange, fruit d’un état de choc. Avec une sorte d’avidité, il me presse de questions, comment ça va, et les enfants ? Il passe en revue la famille, sur le point de craquer. Il est si frêle. Brusquement, je me souviens qu’il a soixante-seize ans.
L’après-midi, l’avocat doit annoncer que Polanski refuse la demande d’extradition vers les États-Unis. Que va-t-il se passer ? Quand nous partons, Roman a les larmes aux yeux.
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Je suis soudain plongée dans un univers qui me dépasse complètement. L’impression d’être dans un film. Cette histoire avec Samantha s’est passée en 1977, elle-même lui a pardonné, et il lui a présenté ses excuses. Nous sommes en 2009 et le voilà en prison ! Tout cela n’a rien à voir avec l’homme dont je partage la vie depuis un quart de siècle. Je me sens perdue, impuissante, tout se mélange dans ma tête.
Que doit Roman à la justice pour mériter un tel traitement ?
Après l’avoir vu, je rentre avec Hervé à Paris. Nous sommes accueillis par des paparazzis à l’aéroport. Il est midi, on se précipite dans un taxi. Le président Sarkozy me téléphone pour me dire qu’il ne me laissera pas tomber. Le Quai d’Orsay se mobilise. Dans le milieu du cinéma, j’apprends qu’une pétition se prépare. C’est bien, le pays est sur le pied de guerre. La France n’extrade pas ses ressortissants. Les Américains tentent de contourner cet obstacle juridique en misant sur la complicité de la Suisse. J’aimerais qu’on défende Polanski parce qu’il vit une injustice, non parce qu’il est une célébrité, mais ça me rassure de sentir que tout le monde est derrière nous.
À l’arrivée dans ma rue, je découvre que d’autres paparazzis m’attendent devant chez moi. L’enfer commence. Les médias se déchaînent. L’homme qu’ils défendent mal ou accablent trop vite en grossissant le trait, refusant toute nuance, usant des accusations comme de slogans, n’est pas celui que je connais.
À l’arrivée dans ma rue, je découvre que d’autres paparazzis m’attendent devant chez moi. L’enfer commence. Les médias se déchaînent. L’homme qu’ils défendent mal ou accablent trop vite en grossissant le trait, refusant toute nuance, usant des accusations comme de slogans, n’est pas celui que je connais. Roman a des défauts. Parfois maladroit, cassant, rigide, autoritaire, il a tendance à nous parler comme s’il dirigeait un tournage. Mais il est respectueux, attentionné, tendre. Incapable de forcer qui que ce soit. Incapable à son époque célibataire de s’empêcher de séduire, ça je veux bien le croire, je le savais, on en plaisantait, et ça ne me déplaisait pas quand je l’ai épousé. Mais forcer quelqu’un ? Jamais.
Personne ne me fera dire que Roman n’a pas fait d’erreur dans sa vie. Mais je sais que sa faute a été commise il y a trente-deux ans dans des années follement libres.
Personne ne me fera dire que Roman n’a pas fait d’erreur dans sa vie. Mais je sais que sa faute a été commise il y a trente-deux ans dans des années follement libres. Une vieille histoire qui ne m’avait pas interpellée plus que ça, étant donné le contexte de l’époque. J’avais tellement été impressionnée par le meurtre effrayant de Sharon. Je savais que Samantha allait avoir quatorze ans, qu’elle avait déjà un petit ami de dix-sept ans, qu’elle était très libérée, avait une vie sexuelle et rêvait de devenir une star de cinéma. Je savais que sa mère – une comédienne de trente-quatre ans – l’avait présentée à Roman pour poser dans un reportage photo commandé par le magazine Vogue Homme qui voulait comparer les jeunes filles françaises aux américaines. Moi-même, j’ai été mannequin à quatorze ans, en 1980. Plein de filles, dans ce milieu de la mode, couchaient avec les photographes. Ainsi jouait l’époque. On célébrait les lolitas, au cinéma, dans les livres et les magazines. Je ne dis pas que c’est bien ni souhaitable, sûrement pas. Mais c’était l’air du temps. Et on n’entendait personne le déplorer publiquement. Personne.
Mes amis m’appellent à mon retour de Zurich. Tout le monde est horrifié qu’on traque Polanski trente-deux ans après. Les chaînes de télévision traitent le sujet en boucle, toute la journée de ce lundi 28 septembre. Les commentateurs disent un peu n’importe quoi, ils ne connaissent pas le dossier. Le téléphone n’arrête pas de sonner. On me souhaite du courage, on soutient Roman, qui, en début d’après-midi, annonce par la voix de son avocat qu’il refuse évidemment son extradition.
À Zurich, en signe de solidarité, le réalisateur Jan Kounen retire de la compétition son film Coco Chanel et Igor Stravinsky. Les organisateurs du festival de cinéma placardent sur leurs murs des affiches de protestation : « Libérez Polanski », « Pas d’extradition ». « Nous voulons voir Polanski » – « l’un des cinéastes les plus extraordinaires de notre époque ». Ce jour-là, à peine quarante-huit heures après son arrestation, la pétition internationale dont on m’a parlé le matin est rendue publique. Ont signé Costa-Gavras, David Lynch, Martin Scorsese, Ettore Scola, Jeanne Moreau, Bertrand Tavernier, Marco Bellocchio, Wong Kar-wai, Fanny Ardant, Tony Gatlif, Kate Winslet, Natalie Portman… Des réalisateurs et des artistes du monde entier y réclament la « remise en liberté immédiate » de Roman Polanski et jugent « inadmissible qu’une manifestation culturelle internationale rendant hommage à l’un des plus grands cinéastes contemporains, puisse être transformée en traquenard policier ». Quantité d’institutions du cinéma, du Festival de Cannes à la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) en passant par la Cinémathèque française, y sont allées de leur paraphe.
Il risque l’extradition vers les États-Unis pour une affaire vieille de trente ans dont la principale plaignante répète à cor et à cri qu’elle a oublié cette histoire et abandonné toute idée de poursuite
Une seconde pétition, initiée par Bernard-Henri Lévy, est publiée : « Appréhendé comme un vulgaire terroriste, samedi soir, 26 septembre, à Zurich, alors qu’il venait recevoir un prix pour l’ensemble de son œuvre, Roman Polanski dort désormais en prison. Il risque l’extradition vers les États-Unis pour une affaire vieille de trente ans dont la principale plaignante répète à cor et à cri qu’elle a oublié cette histoire et abandonné toute idée de poursuites. Âgé de soixante-seize ans, rescapé du nazisme et des persécutions staliniennes en Pologne, Roman Polanski risque de finir sa vie dans une geôle pour des faits qui devraient être normalement prescrits en Europe. […] » Suivent les signatures de Steven Soderbergh, Sam Mendes, Paul Auster, Isabelle Adjani, Louis Garrel, Milan Kundera, Salman Rushdie… Je ne pense pas que Roman devrait être remis en liberté parce qu’il est rescapé du nazisme. J’espère juste que ce passé lui permettra de supporter l’humiliation d’une détention. Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères, déclare sur les ondes qu’il a écrit, avec son homologue polonais, à la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton. Quant au ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, il assène à Europe 1 : « Il y a une Amérique généreuse que nous aimons, il y a aussi une certaine Amérique qui fait peur, et c’est cette Amérique-là qui vient de nous présenter son visage. » Même la directrice générale de l’Unesco, la Bulgare Irina Bokova, monte au filet : « C’est choquant. » Puis elle ajoute qu’il s’agit d’une « personnalité intellectuelle mondialement connue ». Cette formidable unanimité pour Roman lui va sûrement droit au cœur. Il en a besoin pour espérer. À moins que ça le déprime. Son statut de VIP n’a rien à voir avec la morale et la justice. Au contraire, il l’a desservi, je pense. En tout cas, la seule question qui vaille réside ailleurs :
est-il juste ou injuste d’un point de vue légal de l’avoir arrêté et d’envisager de l’extrader ?
En tout cas, moi, je suis mal à l’aise. C’est bien, ce soutien massif, certes. Une vraie chance. Mais ça m’énerve, ça peut se révéler catastrophique. À quoi ça rime ? Leur axe, c’est de défendre l’artiste. Moi, ça ne m’intéresse pas de défendre l’artiste, si génial soit-il, c’est contre-productif. Je veux qu’on défende l’homme.
Notre fille Morgane ne veut plus aller au lycée. Elle reste au fond de son lit, complètement bouleversée. L’emprisonnement de son père, les médias qui nous traquent, la focalisation mondiale sur notre famille lui sont insupportables.
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Notre fille Morgane ne veut plus aller au lycée. Elle reste au fond de son lit, complètement bouleversée. L’emprisonnement de son père, les médias qui nous traquent, la focalisation mondiale sur notre famille lui sont insupportables. Elvis, lui, décide de retourner au collège et d’y retrouver ses camarades de sixième. On passe par le parking pour éviter les paparazzis.
J’essaie de me motiver malgré ma torpeur. Il faut s’occuper de la maison, répondre au téléphone, discuter encore et encore avec les avocats. Ma tête est ailleurs, dans la petite cellule nue de Zurich. Rien ne va assez vite à mes yeux. J’ai compris que l’affaire n’allait pas se régler en deux ou trois jours, mais au fond je ne l’accepte pas, ça me soulève le cœur. J’oscille entre le désarroi et la colère, une colère énorme, qui me submerge quand j’entends parler de Roman avec des à-peu-près ou des sous-entendus.
Rien n’est rationnel dans cette histoire. Donc tout peut arriver, ça me rend folle. Morgane fait des crises d’angoisse, j’appelle plusieurs fois SOS Médecins. J’aimerais tellement effacer ces jours de septembre, éviter à mes enfants toute cette souffrance.
Je pense à lui, abandonné dans son lieu de détention provisoire. Que vont-ils en faire ? Je l’imagine, embarqué menotté dans un avion pour Los Angeles, puis j’efface instantanément cette vision cauchemardesque. Je ne vois pas l’intérêt pour les Suisses de livrer Polanski. Et pourtant, ils l’ont arrêté. Je ne vois pas l’intérêt pour les Américains de réclamer son retour dans l’espoir de relancer une procédure que Roman et Samantha considèrent comme terminée. Et pourtant, ils s’entêtent, trois décennies plus tard. Rien n’est rationnel dans cette histoire. Donc tout peut arriver, ça me rend folle. Morgane fait des crises d’angoisse, j’appelle plusieurs fois SOS Médecins. J’aimerais tellement effacer ces jours de septembre, éviter à mes enfants toute cette souffrance.
« Si tu as besoin d’aide, n’hésite pas »
Jérôme Seydoux, le grand patron de Pathé, passe me voir à la maison. Il a produit Le Scaphandre et le Papillon, le beau film de Julian Schnabel récompensé en 2007 à Cannes, dans lequel j’ai adoré jouer. Il a financé aussi plusieurs films de Polanski, y compris The Ghost Writer, celui qui doit sortir l’an prochain. Il m’apporte des chocolats, comme si j’étais malade. Je le suis en effet, malade, d’appréhension. « Si tu as besoin d’aide, n’hésite pas », me dit-il. Cette attention me touche.
« Hi, Emmanuelle, this is Jack. » Je reconnais la voix de Jack Nicholson. Il répète : « C’est dingue ce qui arrive, vraiment dingue. » Il ne comprend pas qu’on pourchasse Polanski trente ans après, alors qu’il a déjà purgé une peine dans une prison américaine. ...
Le téléphone de la maison sonne dans la nuit. Personne n’appelle jamais à ce numéro. Je panique, c’est peut-être la prison, Roman s’est suicidé. Je m’extrais de mon lit en essayant de ne pas réveiller les enfants, je me précipite sur le combiné et j’entends : « Hi, Emmanuelle, this is Jack. » Je reconnais la voix de Jack Nicholson. Il répète : « C’est dingue ce qui arrive, vraiment dingue. » Il ne comprend pas qu’on pourchasse Polanski trente ans après, alors qu’il a déjà purgé une peine dans une prison américaine. ...
CRITIQUES
Natacha M.
J'ai bien reçu le livre avec même un peu d'avance. J'avais vu la sortie du livre lors d'une émission ( 7 à 8 sur TF1), consacrée à Emmanuelle Seigner où elle raconte comment sa famille fait face et fond face à toutes ces informations que la presse " salie " . Mais j'ai trouvé cette actrice tellement forte et soutenant son mari ( Roman Polanski) comme seul un vrai et grand amour peut y faire face !! C'est ça rester unis mais dans les pires moments !! Bravo, j'ai hâte de commencer à le lire .
OU SE LE PROCURER 1
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