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  • Photo du rédacteurPar Joseph Polidori

PORTRAIT : Juliet Grames

I ligna cumu su fhanu e vrasce, c l'agianti cumu su fhanu c cose. « Un feu vaut autant que le bois en train de brûler. Le travail vaut autant que les gens qui l'accomplissent. » proverbe Calabrais

Une saga familiale ébouriffante qui nous fait vivre, sur près d'un siècle, l'histoire de l'immigration italienne en Amérique.


Juliet Grames est né à Hartford, dans le Connecticut, au sein d’une famille italo-américaine très unie. Elle travaille à New York en tant qu’éditrice depuis de nombreuses années. Les Sept ou Huit Morts de Stella Fortuna est son premier roman.

 

For Stella Fortuna, death has always been a part of life. Stella’s childhood is full of strange, life-threatening incidents—moments where ordinary situations like cooking eggplant or feeding the pigs inexplicably take lethal turns. Even Stella’s own mother is convinced that her daughter is cursed or haunted.

 



Elle allait être matraquée et commotionnée, être asphyxiée, faire une hémorragie, et être lobotomisée.
 

INTERVIEW

Qu'est ce qui vous a inspiré à écrire ce livre?

Juliet Grames: Tout à commencé il y a plus de cinq ans lorsque j'ai voulu écrire Stella Fortuna, cette envie m'a éloigné de la vérité. Le fait est que ma grand-mère était perdue face à ce miracle médical qui lui a sauvé la vie, et je n'ai jamais pu accéder à sa personnalité. J'ai donc vraiment dû inventer Stella, ce n'est vraiment qu'en me libérant de la vérité que j'ai pu écrire et terminer le roman.

L'histoire de Stella, est ce l'histoire de votre grand-mère?

JG: Quand j'ai commencé à écrire ce livre, je connaissais l'intrigue parce que je connaissais l'histoire que je voulais raconter, les rythmes de vie de ma grand-mère. Je ne suis pas parti billes en tête. Je savais ce qui allait arriver, mais je ne savais pas pourquoi cela arriverait. Et comme j'ai vraiment exploré les personnages et compris pourquoi les choses se sont passées, j'ai découvert que j'avais 15 axes de travail, et beaucoup d'entre eux avaient à voir avec le patriarcat, et le coût incroyable du patriarcat, non seulement (mais avant tout) sur les femmes, mais aussi sur les hommes.

Pourquoi avoir écris un livre sur la vie inexistante de Stella?

JG: Beaucoup d'entre nous ont une «grand-mère» - et je mets cela entre guillemets parce que ça pourrait être une mère, une tante, peu importe - qui était méchante, ivre, ou qu'elle a abandonnée sa famille, quel que soit le négatif que vous attribuez à cette femme. Si vous creusez un peu plus profondément et demandez pourquoi elle était méchante, ou pourquoi elle buvez, ou pourquoi elle s'est enfuie, il y a toujours une raison lié avec quelque chose qui lui a été demandé ou exigé, généralement des décisions qu'elle a prise, souvent pour protéger ou sauver sa propre vie ou celle d'un membre de sa famille. 

Que ressentez-vous en tant qu'écrivaine pour avoir inventé ce personnage?

Le plus grand privilège pour moi qui ressort de ce livre est que les gens partagent leurs histoires sur leurs propres parents "difficiles" et savent que leur héritage mérite d’être un peu plus mis à part, et que ces blessures sont un peu irriguées. L'héritage de nos grands-mères méritent d'être restaurés, ou du moins explorés.

Votre bio en quelques mots?

Je suis née à Hartford, Connecticut, et ou j'ai grandi dans une famille italo-américaine très soudée. Je suis actuellement Éditrice, mais j'ai passé dix ans chez Soho Press, comme associée et conservatrice de l'empreinte Soho Crime. Les sept ou huit morts de Stella Fortuna est mon premier roman.

Préface

Voici l’histoire de Maria stella Fortuna II, connue sous le nom de Stella, jadis de Ievoli, un village de montagne calabrais, en Italie, aujourd’hui du Connecticut, aux ÉtatsUnis. Au cours de sa vie, qui embrassa plus d’un siècle, elle endura force malchance et adversité. L’histoire qui suit raconte comment elle n’est jamais morte. Au cours de ses cent années, la seconde Stella Fortuna (je vous parlerai dans un instant de la première) allait survivre à huit expériences de mort imminente –  ou à sept, selon votre façon de compter les choses.


Mais les Calabrais ont la peau dure. Nous sommes connus pour cela 

Elle allait être matraquée et commotionnée, être asphyxiée, faire une hémorragie, et être lobotomisée. Elle allait être partiellement immergée dans de l’huile chaude, être sectionnée de l’estomac aux intestins à deux occasions distinctes et, une autre fois, ne devrait sa vie qu’à une faute de frappe. Un jour, elle se suiciderait presque par accident. Est-ce à cause d’une déveine incroyable que la seconde Stella se retrouva confrontée à de tels dangers, ou au contraire grâce à une chance incroyable qu’elle y survécut ? Je ne saurais trancher. Dans tous les cas, cela fait un sacré lot d’aventures à inclure dans le récit d’une seule vie. Mais les Calabrais ont la peau dure. Nous sommes connus pour cela : notre opiniâtreté dépasse les limites du raisonnable, et nous nous moquons bien de nous ou de notre bien-être.

Presque tout ce que je sais de l’existence extraordinaire de Stella, je le tiens de sa sœur cadette, Concettina, qui est elle aussi toujours en vie.

Pendant tant de siècles de notre histoire, nous avons eu si peu de choses pour lesquelles nous battre que cet instinct est irrépressible : lorsque 11 nous avons décidé de faire quelque chose, la force de notre volonté est plus puissante que la menace du désordre, de la honte ou de la mort. Stella Fortuna s’est battue obstinément pour sa vie, à sept (ou huit) reprises différentes. J’aimerais pouvoir dire que jamais personne ne le lui a reproché. Presque tout ce que je sais de l’existence extraordinaire de Stella, je le tiens de sa sœur cadette, Concettina, qui est elle aussi toujours en vie. Elle va sur ses cent ans, et s’appelle désormais Tina Caramanico. « Tina » parce que « Concettina » c’était trop vieux jeu pour l’Amérique, et « Caramanico » parce qu’on lui a expliqué qu’ici, aux ÉtatsUnis, une femme prenait le nom de son mari au lieu de garder celui de son père. Tante Tina habite seule dans les plaines marécageuses de Dorchester, dans le Connecticut, dans une maison que son mari a bâtie pour elle en 1954. Son mari est mort, bien sûr, alors la seule personne pour qui elle doive cuisiner c’est vous, lorsque vous lui rendez visite.

Ou bien vous pouvez éviter le conflit, manger en silence, et n’endurer par la suite que des souffrances physiques.

Sans doute ne venez-vous pas la voir aussi souvent que vous le devriez, et quand vous êtes là vous mangez si peu que c’en est presque insultant pour tante Tina. On dirait l’une de ces blagues sur les grands-mères italiennes, mais je vous assure que Tina Caramanico est on ne peut plus sérieuse. Il y a deux façons de gérer ce problème de gavage. Vous pouvez lui hurler dessus pour qu’elle arrête de mettre de la nourriture dans votre assiette, puis vous sentir coupable d’avoir crié sur une vieille dame. Ou bien vous pouvez éviter le conflit, manger en silence, et n’endurer par la suite que des souffrances physiques. La première fois que je suis venue avec mon mari pour faire les présentations, tante Tina m’a confié avec admiration : « Il mange tellement bien. » Voilà le genre de compliment dont sont capables les grands-mères italiennes à l’égard d’hommes qui ne crient pas sur elles pendant un repas.

Depuis son enfance en Calabre, dans les années 1920, jusqu'à sa vie de femme en Amérique, son existence a été ponctuée de situations banales qui, mystérieusement, ont tourné au cauchemar.

Dans tous les cas, cela fait un sacré lot d'aventures à inclure dans le récit d'une seule vie. Mais les Calabrais ont la peau dure. Nous sommes connus pour cela : notre opiniâtreté dépasse les limites du raisonnable, et nous nous moquons bien de nous ou de notre bien-être. Pendant tant de siècles de notre histoire, nous avons eu si peu de choses pour lesquelles nous battre que cet instinct est irrépressible : lorsque nous avons décidé de faire quelque chose, la force de notre volonté est plus puissante que la menace du désordre, de la honte ou de la mort. Stella Fortuna s'est battue obstinément pour sa vie, à sept (ou huit) reprises différentes. J'aimerais pouvoir dire que jamais personne ne le lui a reproché.

On dirait l’une de ces blagues sur les grands-mères italiennes, mais je vous assure que Tina Caramanico est on ne peut plus sérieuse.

Presque tout ce que je sais de l’existence extraordinaire de Stella, je le tiens de sa sœur cadette, Concettina, qui est elle aussi toujours en vie. Elle va sur ses cent ans, et s’appelle désormais Tina Caramanico. « Tina » parce que « Concettina » c’était trop vieux jeu pour l’Amérique, et « Caramanico » parce qu’on lui a expliqué qu’ici, aux ÉtatsUnis, une femme prenait le nom de son mari au lieu de garder celui de son père. Tante Tina habite seule dans les plaines marécageuses de Dorchester, dans le Connecticut, dans une maison que son mari a bâtie pour elle en 1954. Son mari est mort, bien sûr, alors la seule personne pour qui elle doive cuisiner c’est vous, lorsque vous lui rendez visite. Sans doute ne venez-vous pas la voir aussi souvent que vous le devriez, et quand vous êtes là vous mangez si peu que c’en est presque insultant pour tante Tina. On dirait l’une de ces blagues sur les grands-mères italiennes, mais je vous assure que Tina Caramanico est on ne peut plus sérieuse. Il y a deux façons de gérer ce problème de gavage. Vous pouvez lui hurler dessus pour qu’elle arrête de mettre de la nourriture dans votre assiette, puis vous sentir coupable d’avoir crié sur une vieille dame. Ou bien vous pouvez éviter le conflit, manger en silence, et n’endurer par la suite que des souffrances physiques. La première fois que je suis venue avec mon mari pour faire les présentations, tante Tina m’a confié avec admiration : « Il mange tellement bien. » Voilà le genre de compliment dont sont capables les grands-mères italiennes à l’égard d’hommes qui ne crient pas sur elles pendant un repas.

elle mesure aujourd’hui un mètre cinquante-huit alors que son mètre soixante-treize de jadis faisait d’elle une femme grande pour l’époque

On oublie facilement que tante Tina approche des cent ans : elle a l’air aussi rose, transpirante et vigoureuse qu’à ses soixante-cinq ans. Ses yeux marron sont laiteux mais vifs, ses articulations saillantes débordent de force et les tendons de ses mains se dressent furieusement des os de ses poignets, avides d’agripper quelque chose – une cuillère en bois, un attendrisseur à viande, la joue d’un petit-neveu. À toute heure, elle luit comme qui s’active frénétiquement, et des perles de transpiration lui dessinent une moustache. Avec l’âge, elle s’est ratatinée – elle mesure aujourd’hui un mètre cinquante-huit alors que son mètre soixante-treize de jadis faisait d’elle une femme grande pour l’époque –, mais ses bras sont épais et musclés. Une anecdote très connue dans la famille raconte qu’elle est venue aider ma cousine Lyndsay, alors enceinte, à « faire le ménage » chez elle, et a tapé si fort sur le tapis tressé de la cuisine que celui-ci s’est entièrement dénoué sur la galerie à l’arrière de la maison. Au moins, à la fin, il était vraiment propre.

J’étais attablée chez tante Tina et je mangeais du gâteau à la courgette un après-midi, quand elle m’en a fait le décompte pour la première fois. Je me souviens de ce qu’elle m’a dit

La mémoire familiale est une chose vraiment complexe. Nous nous répétons certaines histoires jusqu’à plus soif, alors que d’autres s’évaporent inexplicablement. Enfin, peut-être pas inexplicablement : peut-être que certaines histoires, si on se les rappelait, cadreraient mal avec le récit familial présent. Une génération leur résiste, la suivante n’en entend jamais parler, et ensuite, voilà qu’elles ont disparu, remplacées par des petites phrases rapportées plus douces à l’oreille. À mon sens, cela explique que je n’aie eu vent de ces sept (ou huit) quasi-morts qu’une fois adulte. J’étais attablée chez tante Tina et je mangeais du gâteau à la courgette un après-midi, quand elle m’en a fait le décompte pour la première fois. Je me souviens de ce qu’elle m’a dit : « Tout le monde connaît l’Accident, mais est-ce que tu as déjà entendu parler de l’aubergine ?

Combien de fois Stella avait-elle failli y passer – quelle violence surréaliste son corps avait-il endurée.

— De quelle aubergine tu parles ? ai-je demandé avec méfiance. — La fois où Stella a failli être tuée par une aubergine. — Par une aubergine ? » J’ai jeté un coup d’œil de l’autre côté de la fenêtre à la courgette de un mètre de long qui pendait au treillis dans le jardin de tante Tina. Jamais auparavant je n’avais entendu dire que la vie de quelqu’un avait été mise en péril par un légume, mais cela ne semblait pas exclu du royaume des possibles. « À ton avis, d’où lui viennent ces cicatrices sur les bras ? » Et puis il y a eu encore six autres fois où elle a failli mourir – six ou peut-être cinq. Tante Tina les a comptées sur ses doigts beiges noueux : les cochons, l’école, le bateau – matière à controverse –, le violeur, cet imbécile de médecin, l’étouffement. Tandis que Tina égrenait cette litanie des traumatismes, une nausée chaude m’a submergée. Combien de fois Stella avait-elle failli y passer – quelle violence surréaliste son corps avait-il endurée. Comme il était improbable, d’un point de vue statistique, qu’elle ait survécu. Tandis que j’écoutais la liste de Tina, ma bouche a commencé à s’assécher ; le cake à la courgette, fort dense au demeurant, est devenu difficile à avaler. J’éprouvais le même sentiment terrible d’impuissance que quand on est assis dans le bus à côté d’une personne qui tousse, et que l’on sait, on le sait, c’est comme ça, qu’on a attrapé le mal dont souffre notre voisin. J’avais été contaminée par l’histoire de Tina, l’histoire de la vie et des morts de Stella Fortuna. « Tante Tina. Pourrais-tu me redire tout ça ? Pour que je l’écrive ? » ai-je demandé une fois sa liste terminée. Je fouillais déjà dans son tiroir rempli de crayons et de bons de réduction, en quête d’une vieille enveloppe de facture téléphonique sur laquelle prendre des notes. Elle a hésité, a regardé mon stylo en suspens. Plus tard, une fois que j’ai su toute l’histoire, je me suis demandé ce qui lui avait traversé l’esprit pendant ce long intervalle. Mais son moment d’hésitation s’est achevé, et elle m’a répondu, résolument : « Je répète, et tu écris ce que je dis. — Oui, s’il te plaît. » Elle m’observait de ses yeux humides cerclés de rose. J’avais du mal à déterminer si ce que je percevais dans son expression était de l’excitation ou de la tristesse. « Raconte-moi tout ce dont tu te souviens. — Certaines parties de l’histoire, elles sont pas jolies jolies », m’a-t-elle prévenue, à sa décharge. Mais qui comprend jamais, ou croit jamais vraiment, pareille mise en garde ?

c’est elle qui a le plus de raisons de me raconter toute la vérité, mais aussi le plus de raisons de la cacher.

Parmi mes nombreuses sources, Tina Caramanico est la principale. Je pense qu’après toutes ces années elle voulait enfin rétablir la vérité. Elle connaissait mieux que quiconque, mort ou vivant, tous les détails, parce qu’elle avait été là, aux côtés de Stella, tout le temps. C’est pour elle que les enjeux sont les plus importants – c’est elle qui a le plus de raisons de me raconter toute la vérité, mais aussi le plus de raisons de la cacher. Elle est toujours aux côtés de Stella aujourd’hui, bien que les deux sœurs ne se soient pas adressé la parole depuis trente ans. En face de la maisonnette blanche de plain-pied de Tina, à une quarantaine de mètres à peine de l’autre côté de la rue, Stella est assise dans un fauteuil derrière le bow-window de sa propre maisonnette blanche de plain-pied. Une configuration idéale pour que les sœurs fâchées puissent s’épier mutuellement, chacune observant l’allée de l’autre afin de noter quel proche rend visite à qui, et compter les points.

Elle dépose la nourriture sur la cuisinière et s’éclipse aussi rapidement que ses presque cent ans le lui permettent.

Stella passe presque toute sa journée assise derrière cette vitre, commençant des couvertures au crochet qu’elle défait ensuite et ne termine jamais. Elle est prisonnière de son esprit, tout comme le reste de sa famille, bien que personne hormis Stella ne sache exactement à quoi ressemble l’intérieur de cette geôle. Vers 11 heures, Stella disparaît de la grande fenêtre pour aller s’allonger un peu. C’est à ce moment-là que Tina attrape le plat qu’elle a préparé pour le déjeuner de sa sœur – une minestra aux légumes ou une assiette de côtelettes de porc –, se précipite de l’autre côté de la rue et s’introduit chez Stella par la porte de derrière. Elle dépose la nourriture sur la cuisinière et s’éclipse aussi rapidement que ses presque cent ans le lui permettent. Stella ne mange la nourriture de sa sœur que si tout le monde fait semblant de ne pas savoir qui l’a cuisinée. Plus tard, le neveu de Tina, Tommy, lavera la casserole ou l’assiette avant de la rapporter de l’autre côté de la rue.

Pendant soixante-sept ans, elles avaient été les meilleures amies du monde, des camarades loyales, mais après avoir émergé de son coma Stella n’a plus jamais voulu adresser la parole...

La huitième fois où Stella Fortuna a frôlé la mort – l’« Accident » – date de décembre 1988, et s’est soldée par une hémorragie cérébrale et une lobotomie à laquelle elle doit la vie. Cette intervention particulière était expérimentale à l’époque, et le chirurgien pensait qu’il était peu probable que Stella en réchappe. Et si elle survivait, elle risquait de passer le restant de ses jours en fauteuil roulant, alimentée par une sonde. La réalité, nous le savons, a prouvé que le chirurgien se trompait. Stella la survivante a survécu une fois de plus. Mais forts de trente années de sagesse rétrospective, nous voyons bien que l’Accident a gâché des vies – en gâche encore aujourd’hui. La rupture la plus dure – la plus énigmatique – a été celle entre Stella et Tina. Pendant soixante-sept ans, elles avaient été les meilleures amies du monde, des camarades loyales, mais après avoir émergé de son coma Stella n’a plus jamais voulu adresser la parole à sa sœur, pour des raisons qu’elle n’a pas été en mesure d’expliquer. À moins que personne n’ait voulu écouter lorsqu’elle a essayé de le faire. Depuis l’enfance, les vies de Stella et de Tina étaient cousues ensemble, étaient la chaîne et la trame d’une même étoffe. Pendant vingt-quatre ans, les sœurs ont dormi dans le même lit, jusqu’à ce que le mariage les sépare. Après quoi, elles ont vécu dans des maisons voisines qui donnaient sur le même jardin marécageux, partageant des repas et échangeant des potins tous les jours pendant quarante ans. Qu’est-ce qui, dans l’esprit trafiqué de Stella, l’a poussée à se détourner de sa sœur ? Tina, la gentille vieille dame qui a cuisiné pour Stella, nettoyé son bazar, versé des larmes pour elle pendant dix longues décennies de leurs vies ? Qu’est-ce que cela peut bien être ?

Voilà pourquoi il fallait que je mette ma vie entre parenthèses pour écrire ce livre. J’espère que mon obsession portera ses fruits, et que Stella Fortuna sera exhumée, que sa vie trop étrange trouvera une explication...

L’histoire de solitude de Tina – la sœur éconduite qui, de manière invisible, prend soin de sa meilleure amie perdue – m’a toujours attirée vers elle. Quelle tragédie humaine, pensais-je. Avec l’âge, cependant, j’ai compris qu’une autre tragédie se jouait juste sous notre nez : celle de Stella. Les gens qui se souviennent de Stella Fortuna se rappellent la personne qu’elle a été pendant le dernier tiers de sa vie, la femme atteinte de démence faisant l’objet de bien des rancœurs. J’ai vu à quel point la corvée de veiller sur elle pendant trente ans avait érodé l’affection de sa propre famille ; quand on raconte des histoires à son propos chez nous, ce sont les pires anecdotes qui ressortent, bien que je ne pense pas que mes proches s’en rendent compte. Et je ne leur jette pas la pierre : ces trente années n’ont pas été une sinécure. Stella n’est même pas encore morte – ne mourra peut-être jamais, tel que c’est parti – et pourtant, tout le bien qu’elle a accompli sur cette terre a déjà été oublié et enterré. Voilà pourquoi il fallait que je mette ma vie entre parenthèses pour écrire ce livre. J’espère que mon obsession portera ses fruits, et que Stella Fortuna sera exhumée, que sa vie trop étrange trouvera une explication, et que son nom aujourd’hui vilipendé sera lavé. J’ai tâché de reconstituer les pièces manquantes de son héritage en m’appuyant sur ce que les vivants se remémorent. Les pages qui suivent sont ce que j’ai pu en tirer de mieux, et s’appuient grandement sur des souvenirs que l’on m’a racontés, mais également sur mes propres recherches. J’adresse ma gratitude la plus sincère aux membres de la famille, amis, ennemis, admirateurs, victimes, voisins, et autres conoscenti de Mariastella Fortuna, qui m’ont généreusement fait grâce de leur temps et de leurs contributions. Toute erreur dans les faits ou les jugements est entièrement imputable à l’auteur.


Brooklyn, New York, 2019

 

Une saga familiale ébouriffante, couvrant près d’un siècle et deux continents, où il est question de secrets, d’envoûtements et des liens du sang — et qui accomplit ce qu’aucune leçon sur l’immigration en Amérique ne pourrait faire en donnant chair à une femme que le temps et l’Histoire auraient ignorée.


Si Stella Fortuna veut dire "bonne étoile", alors la vie a un drôle de sens de l'humour. Car dans la famille Fortuna, tout le monde connaît l'histoire de la belle et insolente Stella, qui a refusé d'apprendre à cuisiner, a juré de ne jamais se marier, et a surtout échappé plus d'une fois à une mort certaine.

Depuis son enfance en Calabre, dans les années 1920, jusqu'à sa vie de femme en Amérique, son existence a été ponctuée de situations banales qui, mystérieusement, ont tourné au cauchemar. Stella a quand même été attaquée par une aubergine et éviscérée par des cochons, elle a failli périr noyée dans l'Atlantique et s'est pratiquement vidée de son sang. Pures coïncidences, oeuvre d'un fantôme ivre de vengeance ou manifestations du mauvais oeil ?


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