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Vaccin Vaxzevria ex (AstraZeneca) : la Suisse a-t-elle raison de faire la fine bouche ?

Selon notre confrère Suisse le heidi.news : Voici plus d’un mois que dans l’immeuble de Swissmedic à Berne, le dossier du vaccin Vaxzevria ex (AstraZeneca) dort au fond d’un tiroir. Le 3 février 2021, l’agence suisse des produits thérapeutiques a décidé de ne pas délivrer son feu vert avant d’avoir reçu de nouvelles données cliniques. Alors qu’elle dispose d’un contrat pour 5,3 millions de doses, la Suisse s’interdit l’accès à un nouveau vaccin employé partout en Europe, et prend du retard dans ses campagnes. Ce choix, assumé par la Confédération, fait débat. De plus en plus de voix se font entendre pour dénoncer cette situation quelque peu ubuesque, en pleine pénurie de vaccins.


Pourquoi c’est important. D’un point de vue épidémiologique, comme la plupart des pays européens, la Suisse se trouve à un tournant. La circulation virale est haute, le variant britannique prédominant, l’épidémie tout juste stable. Il suffirait d’un rien pour voir poindre une troisième vague, comme c’est déjà le cas en Italie ou en Autriche, peut-être en France. Il ne faudra alors pas miser sur l’immunité des vaccinés, trop peu nombreux, pour contrôler l’épidémie. D’où le risque d’un bilan sanitaire péjoré, qu’une vaccination plus volontaire aurait permis de limiter.


Un vaccin mal-aimé. Le vaccin d’Oxford-AstraZeneca a connu un développement chaotique. Le 23 novembre 2020, lorsque sont dévoilés en conférence de presse les fameux résultats de phase 3 (publiés depuis) censés soutenir l’accès au marché, plusieurs problèmes se posent:

  • L’efficacité de 70% affichée résulte de la combinaison de deux essais, au Royaume-Uni et au Brésil, avec des résultats différents (60 et 90%).

  • Un schéma de dose modifié (demi-dose initiale) employé chez certains patients britanniques semble donner de meilleurs résultats – on apprendra qu’ils sont dus à une erreur initiale dans le protocole de dosage du vaccin.

  • Les essais comptent trop peu de personnes âgées, de sorte que l’efficacité réelle chez les seniors est impossible à estimer.

Le Pr Pascal Meylan, infectiologue et professeur honoraire à l'Unil:

«On dirait le palais branlant de l’architecte Numerobis dans Astérix et Cléopâtre. Le vaccin a été développé de manière assez maladroite, mais il y a de bonnes chances qu’il soit meilleur que l’image qu’on en a maintenant.»

Pragmatisme européen. Dans un contexte d’urgence sanitaire, plusieurs agences règlementaires ont décidé de passer outre les défauts du vaccin britannique:

  • Logiquement, les Anglais ont tiré les premiers: le 29 décembre 2020, l’agence règlementaire du Royaume-Uni (MHRA) délivre une autorisation de mise sur le marché (AMM) d’urgence.

  • L’agence européenne du médicament (EMA) a suivi le 12 janvier, ce qui a permis le démarrage massif des campagnes de vaccination en Europe.

  • Le groupe stratégique consultatif d’experts (SAGE) de l’OMS sur la vaccination a délivré le 10 février ses recommandations, donnant de facto le feu vert pour une utilisation dans les pays à faible revenu via l’initiative Covax.

Dans un premier temps, plusieurs pays (France, Allemagne, Pologne, Italie…) décident de n’employer le vaccin qu’en-dessous de 60 ou 65 ans, en attendant d’avoir plus de visibilité sur l’efficacité chez les seniors. Le vaccin est notamment employé chez les professionnels de santé, très exposés au virus et susceptible de transmettre la maladie à des personnes vulnérables.

Le non de la Suisse. Le cas suisse fait figure d’exception en Europe. Alors que tout le monde attend un feu vert, éventuellement assorti de restrictions d’usage, la décision de Swissmedic tombe le 3 février: c’est un non. Aucune AMM ne sera délivrée avant que les résultats de l’essai clinique américain ne viennent asseoir le rapport bénéfices-risques du vaccin d’AstraZeneca, ce qui repousse une éventuelle autorisation à fin mars - début avril.

Pourquoi une telle décision? Swissmedic n’a pas pour habitude de commenter le fond des procédures en cours, mais il semble assez clair que le dossier envoyé à l’agence – dont il se dit qu’il était de qualité médiocre – ne permet pas de satisfaire les critères drastiques habituels en vue d’une homologation.

Swissmedic donne, par la voix de son porte-parole Lukas Jaggi, quelques éléments de contexte:

«Pour les vaccins contre le Covid-19 actuellement autorisés en Suisse, Swissmedic disposait de résultats probants issus de vastes études cliniques. Tel n’est à ce jour pas le cas pour le vaccin d’AstraZeneca. Seules des données issues d’une étude conçue en vue du dépôt d’une demande d’autorisation de mise sur le marché permettent de déterminer si les bénéfices d’un vaccin l’emportent sur les risques qui lui sont inhérents.

C’est pourquoi, selon les standards internationaux, les études d’application (sur le terrain, ndlr) ne sont pas considérées comme une base d’évaluation suffisante, même si elles sont évidemment examinées. Soulignons d’ailleurs que ces études observationnelles n’ont été réalisées que dans des pays où une autorisation d’utilisation d’urgence avait été délivrée.»

L’agence suisse des produits thérapeutiques s’aligne par là sur son homologue américain, la FDA, qui souhaite disposer des résultats de l’essai clinique en cours sur son sol avant de délivrer son sésame. Une exigence qui n’a rien d’inhabituelle pour la puissante agence réglementaire américaine. Mais les Etats-Unis, à coups de dollars, se sont ménagés un accès privilégié aux vaccins Covid-19. Se passer de l’un d’entre eux y porte moins à conséquence.

Le Dr Alessandro Diana, pédiatre infectiologue aux Grangettes et spécialiste des vaccins:

«Connaissant un peu Swissmedic, je peux facilement imaginer qu’ils ont dit “Ok, s’il ne passe pas la barre des phase 3, on ne bouge pas”. Je les vois facilement dire qu’ils ne rentrent pas en discussion.»

Pascal Meylan (Unil):

«Swissmedic est relativement formaliste, pas franchement à tort: c’est vrai qu’une limite d’utilisation en dessous de 60 ou 65 ans… Ils ont demandé d’autres données, manifestement ils ne les ont pas encore eues, et ce vaccin manque parce qu’on manque terriblement de doses.»

Une décision politique. Autre élément mis en avant par Swissmedic pour justifier sa décision d’attendre des données complémentaires: l’absence de procédure dérogatoire. Lukas Jaggi:

«En Suisse, contrairement à d’autres agences comme la MHRA (agence britannique, ndlr.) on n’a pas la possibilité légale de délivrer une AMM anticipée pendant que la vérification est en cours. Le facteur de la situation épidémiologique nationale ne peut pas entrer dans l’évaluation de la balance bénéfices-risques.»

En effet, les agences réglementaires britannique («regulation 174»), européenne («Conditional Marketing Autorisation») et même américaine, disposent de voies d’autorisation accélérées lorsque la nécessité s’en fait sentir. Swissmedic dispose d’une marge de manœuvre beaucoup plus réduite. Cette particularité, définie par la loi, s’est trouvée confirmée récemment par les instances politiques. Dans le projet de loi Covid-19 présenté cet été, le Conseil fédéral, a proposé la possibilité de déroger à la procédure classique pour les médicaments et les vaccins (article 3 let. h du projet). Après la phase de consultation, qui a vu la Conférence des directeurs cantonaux de la santé (CDS), certains cantons ou encore SwissPharma émettre des réserves, décision a été prise par de réserver cette possibilité aux seuls médicaments (article 3 let. c).

Le conseiller national Quadri Lorenzo (UDC) s’en était enquis le 2 décembre à l’occasion des

questions au gouvernement. La réponse du Conseil fédéral est on ne peut plus claire:

«En adoptant la loi Covid-19, le Conseil fédéral et le Parlement se sont délibérément abstenus de prévoir une autorisation d'urgence. Swissmedic, l'autorité d'homologation, doit examiner et évaluer rapidement les demandes soumises, mais sans faire de concessions quant à la qualité, la sécurité et l'efficacité.»

Du côté de Berne, on assume de prioriser les vaccins à ARN messager, considérés comme extrêmement fiables et efficaces, même au prix d’un retard dans les vaccinations. La Dre Virginie


Masserey, responsable de la section contrôle de l’infection à l’OFSP, sur la position officielle:

«Du point de vue de l’OFSP et de la Commission fédérale de vaccination, ce qui change un peu la donne, c’est que l’efficacité des vaccins à ARN messager est tellement bonne qu’on a envie de donner le meilleur à la population. Cela ne nous réjouirait pas trop de donner à notre population un vaccin moins efficace.»

Un printemps de pénuries. Quel a été l’impact de cette décision sur les vaccinations? Depuis fin décembre, la Suisse doit se contenter des seuls vaccins de Pfizer et de Moderna, livrés au compte-goutte. Le calendrier est tendu et les révisions fréquentes: Pfizer a d’abord réduit ses livraisons en février, et c’est au tour de Moderna de faire de même au mois de mars.

Alors que les cantons ont connu quelques difficultés à lancer les vaccinations en janvier, le nombre de vaccins disponibles est très rapidement devenu l’unique frein à l’avancement des campagnes. Dans les grands cantons romands, les capacités de vaccination dépassent d’un facteur 3 ou 4 les stocks mis à disposition par la Confédération.

Laurent Paoliello, porte-parole du département de la santé de Genève:

«On a une Formule 1 mais on avance à la vitesse d’une caisse à savon, à cause du manque de doses. Nous vaccinons à raison de 2000 doses par jour alors que nous pourrions administrer 6000 doses par jour, et monter facilement à 8000 ou 10'000.»

Le Pr Blaise Genton (Unisanté), responsable médical des campagnes de vaccination du canton de Vaud:

«Il est tout à fait clair que si nous avions plus de vaccins à disposition, nous pourrions activer les campagnes. Actuellement nous vaccinons environ 3000 personnes par jour. On pourrait facilement augmenter la voilure et atteindre 10'000 personnes par jour en seulement deux semaines.»

L’OFSP mise sur une hausse importante des livraisons seulement à compter de mai-juin. Le 10 mars, la Confédération a annoncé un nouveau contrat avec Pfizer, à hauteur de 3 millions de doses. Mais les livraisons commenceront en avril, à un rythme qui n’a pas été dévoilé et qui laisse deviner que l’essentiel sera livré en mai-juin.

Quant aux nouveaux vaccins, ils ne sont pas pour tout de suite. Le seul produit ayant le potentiel pour une autorisation rapide est le vaccin mono-dose de Johnson & Johnson, autorisé aux États-Unis et en attente d’homologation auprès de SwissMedic. Mais aucun accord de livraison n’a encore été dévoilé par la Confédération et le fabricant américain connaît, comme ses homologues, des difficultés à répondre à la demande. «Au plus tôt mi-avril», estime Blaise Genton (Unisanté).

En somme, la décision de ne pas valider le vaccin britannique a prolongé d’un mois, et peut-être deux, la pénurie de vaccins en Suisse. À ce jour, un tiers seulement des personnes de plus de 80 ans ont été vaccinées dans le pays. Sur les deux millions de personnes vulnérables (plus de 65 ans et comorbidités) recensées par l’OFSP, quelque 620'000 ont reçu au moins une dose de vaccin – c’est moins du tiers.

Le succès britannique. L’efficacité du vaccin d’Oxford-AstraZeneca pouvait encore être sujette à caution au moment où les résultats d’essais cliniques ont été dévoilés. Mais il est désormais employé dans toute l’Europe, par millions de doses. Le Royaume-Uni en a fait le fer de lance de ses campagnes face à une troisième vague éclair et les résultats, rendus publics en février, tendent à mettre tout le monde d’accord.

Des chercheurs de Public Health Scotland ont ainsi comparé le devenir des personnes vaccinées à celui des autres. D’après leurs travaux, à paraître dans le Lancet (non encore revus par les pairs), le vaccin britannique a permis de réduire d’environ 90% le taux d’hospitalisation des personnes infectées par Covid-19, et ce avec une seule dose. Point crucial: ce résultat est valide chez les plus de 80 ans, qui ont reçu l’AstraZeneca en masse.

La surprise n’est pas totale: les données de phase 2 chez les séniors, et la bonne capacité de l’AstraZeneca (comme tous les vaccins à adénovirus) à susciter une franche réponse immunitaire cellulaire, sont bien connus des spécialistes. Les résultats de phase 3 suggéraient déjà une efficacité proche de 100% contre les formes graves. C’est d’ailleurs sur ces arguments que se sont fondées les agences réglementaires (MHRA, EMA, OMS) pour recommander le vaccin aux séniors. Une situation surréaliste. Au mois de mars, la Confédération se trouve donc dans la situation de refuser un vaccin:

  • bon marché (moins de 2 francs la dose),

  • facile à stocker et déployer (conservation au réfrigérateur),

  • très efficace pour réduire le fardeau sanitaire de l’épidémie (décès et hospitalisation),

  • et disponible (la Suisse a conclu en octobre un accord à hauteur de 5,3 millions de doses avec AstraZeneca et le gouvernement suédois).

Un autre facteur pourrait avoir pesé sur la décision: à tort ou à raison, le vaccin d’Oxford-AstraZeneca a très mauvaise presse dans la population. Jugé comme moins efficace que ses concurrents, mal vu chez certains professionnels de santé en raison de ses effets indésirables vigoureux (voir encadré en bas d’article), il pourrait alimenter une vaccino-hésitation déjà galopante dans le pays.

Toujours est-il que ce hiatus commence à faire grincer des dents. Mardi 9 mars, la Société suisse de médecine tropicale et de médecine des voyages a envoyé une lettre officielle au directeur de SwissMedic, pour lui demander d’activer le pas. Elle est signée de dix-huit spécialistes des maladies infectieuses, dont la très renommée Annelies Wilder-Smith (London School of Hygiene and Tropical Medicine), qui a participé aux groupe d’experts de l’OMS.

Le Pr Blaise Genton, qui fait partie des initiateurs de la lettre, juge que la situation est difficile et déplore que la Suisse fasse «la fine bouche»:

«Je trouve dommage dans cette période de pénurie de ralentir la campagne de vaccination en attenant des résultats qui ne vont probablement pas nous amener beaucoup plus d’informations. Ceux qu’on a entre nos mains nous permettent déjà de dire de façon assez certaine que ce vaccin permettrait de protéger les personnes vulnérables et ralentir la circulation du virus.»

Le Pr Antoine Flahault, épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale de l’Unige, dit quant à lui ne pas comprendre la stratégie de la Confédération:

«Je pense que c’est un très bon vaccin, au moins aussi bon que les ARN messagers et peut-être meilleur, et on se prive d’une vaccination rapide qui pourrait être importante dans une course contre la montre, dans une situation peut-être meilleure que les voisins mais qui reste très instable. (…) Si la Suisse descend tranquillement vers une faible circulation du virus, elle sera plus à même de reprendre la main sur l’épidémie. Mais s’il y a une course contre la montre et que le relâchement des mesures s’accompagne d’un rebond, il n’y aura pas assez de vaccins.»

Le Dr Alessandro Diana, qui se dit partagé sur le fond, commente:

«La stratégie suisse vise d’abord et avant tout à vacciner les personnes vulnérables. Dans ce cadre, si on a des vaccins pour 20 à 30% de la population, c’est déjà suffisant. Qui plus est, on a eu la Rolls Royce des vaccins, avec les ARN messager, donc en étant un peu princesse, on peut peut-être se permettre de miser plutôt sur ces vaccins… J’imagine que c’est en partie le raisonnement tenu.»

Le vaccin britannique possède aussi ses détracteurs. De l’avis général, la Pre Claire-Anne-Siegrist, directrice du centre de vaccinologie des HUG et experte influente sur ces questions, n’y est pas favorable. Sollicitée par Heidi.news, elle indique préférer ne pas s’exprimer sur les vaccins non enregistrés en Suisse, évoquant son «devoir de réserve», lié à sa participation «à de nombreux comités d'experts nationaux et internationaux».

D’évidence, le sujet est sensible: plusieurs personnes ont décliné nos demandes ou n’ont exprimé qu’en «off» leurs doutes sur la stratégie suisse. On dit également la commission fédérale de vaccination très divisée sur le sujet.

Une certaine culture. Pascal Meylan (Unil) n’hésite pas à voir dans la situation un helvétisme pur jus:

«Le fait qu’on ait pas de dispositif d’homologation d’urgence reflète un trait de caractère suisse alors que, bon, on devrait utiliser tous les vaccins avec un rapport bénéfices-risque favorable. Et puis c’est très difficile en Suisse de dire "écoutez, il est un peu moins bien que les autres mais il nous rendrait bien service"».

Même constat pour Alessandro Diana (Grangettes), à cheval culturellement entre l’Italie et la Suisse:

«Mon explication c’est que la Suisse est dans son petit cocon et choisit la procédure ordinaire en se disant même s’il y a un retard de vaccination de quelques semaines, il n’y a pas le feu au lac…»

Positionné entre la France et la Suisse, Antoine Flahaut (Institut de santé globale de Genève) juge quant à lui sévèrement la stratégie de la Confédération:

«Je suis surpris de l’absence de réaction des Suisses sur cette question. Pourquoi la Suisse ne s’est pas positionnée entre Israël et les Émirats arabes unis en matière de vaccination? C’est un pays riche, avec une autonomie totale vis-à-vis des instances européennes réputées bureaucratiques, qui a 8 millions d’habitants comme Israël. Pourquoi ne pas avoir misé sur une stratégie plus volontaire?»

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